Halasana, la Charrue en sanskrit, porte ce nom parce
que la posture, quand elle est complètement réalisée, rappelle, vue de profil,
la forme de l’instrument aratoire traditionnel. Mais cette ressemblance apparente
renvoie à une signification plus profonde de la posture.
Charrue Dombasle |
Le soc de la
charrue laboure la terre en de longs sillons, droits et profonds. Grâce à ce
labour, le sol est rendu fertile et pourra produire une récolte foisonnante.
La terre qu’il
convient pour nous de cultiver, c’est notre vie. Semblable à cette terre qui,
si elle était laissée à l’abandon, ou mal travaillée, serait stérile ou peu
fructueuse, notre vie serait pauvre en réalisations, désespérante et vaine.
Pour que notre
vie soit fertile et riche, notre esprit a besoin d’être labouré, transformé.
Telle est la
promesse d’Halasana : si nous nous adonnons à cette posture, elle va
cultiver notre esprit, y creuser un sillon droit, long et profond. Grâce à
Halasana notre esprit va devenir plus paisible,
plus clair, plus stable. Cette transformation intérieure
nous permettra ensuite de nous engager dans la voie de l’action juste (Karma Yoga) et avoir accès à la connaissance de la nature ultime des
phénomènes (Jnana Yoga).
En 4000 ans
les besoins de l’être humain ont peu changé, seul le langage a évolué. Les
bienfaits d’Halasana que les Yogis
exposaient à travers le symbolisme de la charrue, sont désormais exprimés en
langage scientifique. Halasana va ainsi
engendrer calme et stabilité mentale par le biais d’une harmonisation de notre système nerveux. Elle est donc
particulièrement précieuse pour nous permettre de lutter contre les effets du stress et prévenir le développement des maladies neurodégénératives.
Compte tenu de
ces bienfaits, il importe d’apprivoiser tranquillement cette posture.
1. Une posture simple
Halasana ne nécessite aucune prouesse, aucune acrobatie et peut
donc être très aisément réalisée.
On commence
par s’allonger sur le dos (Shavasana). On place
les bras le long du corps, les paumes tournées vers le sol, on étire la région
cervicale en veillant à bien abaisser le menton. Ce placement correct de la
tête est important car il facilitera la compression de la glande tyroïde quand
le bassin sera soulevé.
Position de départ |
Une fois le
bassin soulevé, on tend les jambes derrière la tête. On est alors installé dans
la posture. Bien sûr, il existe, selon les capacités physiques des personnes,
différents niveaux de pratique. Néanmoins, il importe de comprendre qu’il n’est pas nécessaire d’aller plus avant
et que l’on peut très bien demeurer ainsi et recueillir les principaux bienfaits
d’Halasana.
Les pieds ne reposent pas au sol : ce n'est pas grave ! |
L’idéal serait de pouvoir
effectuer l’ensemble de ce mouvement sur un tempo lent, régulier, continu. Toute précipitation constituerait,
en effet, une violence préjudiciable qui bloquerait, en outre, toute
perspective de progression.
Dès lors que
le bassin est soulevé, il convient de prendre son temps. Il est, en effet,
indispensable de laisser au corps le temps de s’acclimater à l’attitude inversée,
source de bouleversements physiologiques considérables. Il est aussi nécessaire
de laisser aux muscles le temps de s’étirer. Et cela ne peut être fait plus
vite que le rythme naturel.
Une erreur
parfois commise consiste à vouloir passer en force, « à la hussarde »
: le bassin soulevé, on se presse de poser les orteils au sol derrière la tête.
Les résultats d’une telle précipitation s’avèrent néanmoins décevants :
les muscles du dos n’ont pas le temps de s’étirer, de ce fait la respiration
est gênée considérablement, la nuque est violemment étirée, ça tire de partout,
on se sent mal, on redescend donc en catastrophe, et on se sent encore plus
mal !
L’esprit de
performance qui inspire une telle démarche précipitée constitue un obstacle
majeur qui empêche de se sentir bien avec soi-même, d’être en confiance avec
soi-même. Cet esprit de compétition, fondé sur l’orgueil et l’ignorance,
corrompt déjà beaucoup d’activités humaines. Appliqué au Yoga il conduit à des
déconvenues assez sévères. Aborder ainsi Halasana
consiste à vouloir défier un tigre avec pistolet à eau : on va se prendre
un grand coup de pattes, voler dans les airs et s’écraser misérablement au sol,
endolori !
Mal compris le
Yoga peut vite devenir un outil redoutable de maltraitance envers soi-même. Voilà
pourquoi l’entrée dans Halasana doit s’accompagner
de quelques précautions qu’il est utile de rappeler.
2. Respecter
quelques « règles d’or » concernant les étirements
On perçoit
aisément que cette posture amène un étirement de tout l’arrière du corps. Il
est important ici de rappeler quelques notions
élémentaires relatives à toutes formes d’étirement musculaire. Elles pourront vous guider pour vous sentir
à l’aise dans de nombreuses postures :
. l’étirement ne doit jamais pas s’effectuer
« à froid ». En d’autres termes, il convient de ne pas prendre Halasana directement au saut du lit !
Les muscles postérieurs du corps qui vont être étirés doivent avoir été
préalablement préparés, échauffés, et donc contractés. C’est pourquoi, il est
conseillé d’effectuer en début de séance une succession de salutations au
soleil. Suryanamaskar constitue, en
effet, une excellente préparation de l’ensemble du corps. Par ailleurs, et pour
la même raison, on veillera à ne pas placer Halasana
parmi les premières postures de la séance : celle-ci figure plutôt parmi
les dernières.
. un étirement intense et généralisé doit être préparé par des étirements
plus modérés et plus restreints
Comme chacun
peut en faire l’expérience, Halasana,
amène un étirement musculaire puissant et porte sur un champ extrêmement
vaste : tout l’arrière du corps, depuis la région cervicale jusqu’aux
talons. Pour éviter toute violence, la prudence recommande donc de préparer
cette posture par diverses attitudes qui installer un étirement plus doux et relatif
à un périmètre plus restreint. C’est la raison pour laquelle Halasana prendra tout naturellement sa
place dans la série après Viparita Karani
et Sarvangasana.
L’étirement
doit demeurer constamment agréable.
L’idée avec
laquelle on se bercerait : « je souffre, mais j’irai tellement mieux quand
ce sera fini !», est un principe tout à fait pertinent pour le gars qui se
donne des coups de marteau sur la tête, mais totalement erroné dans la pratique
du Hatha Yoga.
Nul ne
s’étonnerait qu’en tirant abusivement sur un élastique, il ne finisse par
claquer. Pour quelle raison imposerait-on à notre corps un traitement qu’on ne
ferait pas subir à un objet ?
Tout étirement
qui deviendrait douloureux correspondrait à de l’auto maltraitance, une
souffrance dont les Yogis veulent précisément se libérer.
. l’étirement doit se faire tranquillement,
l’esprit libre.
Il ne saurait
y avoir de pratique du Yoga sans paix intérieure. Cette stabilisation de
l’esprit doit commencer à être installée dès la mise en œuvre des postures. Il
serait puéril et vain de croire que l’on
va pouvoir laisser notre esprit se déchainer pendant les postures et
qu’ensuite, miraculeusement, la tempête va cesser et qu’un calme immense
règnera dans notre esprit. Bien sur certaines postures ont un effet apaisant,
mais elles ne peuvent produire pleinement leurs effets que si l’esprit est
orienté correctement. L’esprit doit donc être libre de toute objectif, de toute
tension mentale. Ainsi on s’abstiendra de vouloir gagner en amplitude, on
renoncera paisiblement à toucher absolument le sol avec les pieds. Si les pieds
touchent le sol que cela ne soit pas un problème : que nul orgueil ne
s’élève dans l’esprit. Et si les pieds ne touchent pas le sol, que cela ne
devienne pas non plus un problème: on n’est pas nul pour autant ! Libre de
tout attachement, l’esprit peut ainsi se concentrer plus aisément sur les
sensations du corps et prendre conscience de toutes les transformations qui
surviennent. C’est parce que l’esprit reconnaitra qu’il s’agit juste d’un
étirement que cet étirement sera juste.
. l’étirement s’effectue sans à-coups
physiques.
On laisse simplement
les contractures musculaires se dissoudre paisiblement dans chaque expiration.
Ainsi, l’étirement s’accomplit sans saccade, de façon progressive.
Durant tout
l’étirement l’esprit est à l’écoute des sensations qui émergent. Et dans ce dialogue ininterrompu entre le corps et
l’esprit, quand nos muscles font savoir que cela suffit, l’esprit prend en
compte instantanément ce message, le respecte et interrompt la posture.
Voilà la façon
saine de procéder avec soi-même et de permettre à un étirement correct de
s’effectuer.
3. Quelques variantes simples
Le Yoga a ceci de merveilleux qu'il est toujours possible de compliquer les choses ! Ce n'est d'ailleurs pas un parti pris: les êtres ont simplement des capacités physiques différentes. Aussi, je préfère vous présenter deux variantes simples pour l'unique raison qu'elle sont par définition plus facile à réaliser. Il serait erroné de s'égarer dans la technicité et dans de vaines contorsions : une posture n'est qu'un support matériel dans lequel l'adepte stabilise son esprit.
Les pieds parviennent à se poser au sol |
Lorsque les muscles de l'arrière du corps acceptent de s'étirer suffisamment, les pieds se posent au sol.
Il est alors possible, mais il n'y a aucune obligation à cela, d'allonger les bras devant soi et de les poser au sol en rapprochant les deux poignets l'un de l'autre. Tant que les pieds ne reposeront pas au sol, on s'abstiendra d'allonger les bras : il importe de continuer à soutenir le dos pour que sa musculature s'étire confortablement.
Il est possible d'allonger les bras |
4. Une action régénératrice pour l’ensemble du système
nerveux
Nous vivons dans une société où l’urgence est devenue un mode
de vie. Non seulement les exigences professionnelles valorisent la réactivité, mais,
même une fois sorti du bureau, il faut répondre vite aux mails et sms
personnels, et tout de suite, c’est encore mieux. Pris dans ce tourbillon
incessant, le corps et l’esprit ne parviennent plus à suivre, à se poser, à se
ressourcer. Courir est devenu une fin en soi.
Pour comprendre comment Halasana
peut nous aider à vivre tout simplement, il faut rappeler un peu comment notre
bon vieux système nerveux fonctionne car on ne peut décidemment pas faire sans
lui.
Formé de cellules spécifiques appelées neurones, notre
système nerveux possède un champ d’action très vaste. Il nous permet d’être en
relation avec notre environnement, d’agir, de penser, et d’accomplir ainsi
toutes sortes d’activités qui donnent du sel à notre vie. Mais ce système
nerveux assure aussi, en arrière-plan, un ensemble de missions d’intendance,
des tâches de « back office », moins nobles en apparence, mais
pourtant vitales.
La respiration, la digestion, la circulation sanguine, les
sécrétions endocrines, la digestion sont ainsi prises en charge par le système nerveux autonome, sorte de pilote
automatique bienveillant. Car ces fonctions ne s’exercent que très
partiellement sous le contrôle de notre volonté. Et, heureusement
d’ailleurs ! S’il était nécessaire de penser à respirer pour le faire, nous
passerions tous de très mauvaises nuits !
Ce système nerveux végétatif se compose de deux
sous-ensembles, le système sympathique (SN
S)
et le système parasympathique (SNPS). Ils assurent l’un et
l’autre des fonctions non seulement opposées,
mais complémentaires. Ainsi la plupart des viscères font l’objet d’une
innervation conjointe de ces deux systèmes.
Pour clarifier schématiquement leur rôle respectif, on peut
dire que si notre organisme était une voiture, le système sympathique
représenterait l’accélérateur et le système parasympathique, le frein. Ainsi,
quand un facteur de stress se manifeste, le système sympathique se met en route
et nous prépare à lutter contre cette menace ou bien à fuir. Ce système nerveux
était particulièrement bien adapté aux menaces qui pesaient sur nous à l’âge
des cavernes : quand on croisait un loup, on était prêt à combattre ou à
déguerpir. On y laissait parfois une jambe ou deux, mais on ne souffrait pas des
pathologies du stress ! Maintenant, ce bon vieux système nerveux est
devenu un peu archaïque, obsolète. Si, en réunion de travail, un collègue
sous–entend que l’on est un gros nul, on ne peut plus sortir son gourdin et
l’assommer. Ce n’est plus dans les usages. Dommage ! car cela nous aurait
soulagé ! Du coup, on encaisse, on somatise : mal de ventre, puis ulcère,
boule dans la gorge, hypertension, troubles du sommeil… la sinistre litanie des
symptômes du stress !
« Que faire ? » me direz-vous. Exprimer ses
émotions, se dépenser, développer la patience, maitriser son esprit par la
méditation et . . . . adopter Halasana !
Examinons, en effet, les conséquences physiologiques de
cette posture. Comme on le ressent immédiatement en adoptant cette attitude, Halasana assure un étirement intense de la colonne vertébrale. L’enroulement de
l’épine dorsale provoque une stimulation de tous les filets nerveux qui
émergent de part et d’autre du rachis.
Par ailleurs, la chaine de ganglions du système nerveux
sympathique qui jouxtent le rachis depuis la dernière vertèbre cervicale (C7)
jusqu’à la 2e vertèbre lombaire (L2) se trouve directement
revitalisée. L’ensemble des viscères innervés par le système sympathique (poumons,
cœur, estomac, foie, pancréas, reins, intestins, vessie, gonades) bénéficient alors
de l’action bénéfique d’Halasana.
La régénération du système sympathique va ainsi permettre à
l’organisme de faire face aux effets délétères du stress et lui éviter ainsi l’épuisement.
En outre, l’étirement suscité par Halasana s’applique aussi à tout le milieu du dos, régénérant de la
sorte le système parasympathique. Cette action favorise l’abaissement du rythme
cardiaque, l’accroissement des sécrétions salivaires et gastriques conduisant à
une meilleure digestion, et à une amélioration du péristaltisme intestinal.
Enfin, la compression de la cavité abdominale conduit à un
massage doux et profond du plexus solaire, situé entre le sternum et le
nombril. Cette action permet de dissoudre l’anxiété
et de générer un plus grand calme mental.
C’est donc bien à une revitalisation
complète du système nerveux que conduit Halasana.
Pratiquée régulièrement elle concourra à prévenir
l’apparition des maladies neurodégénératives (telles que les maladies
d’Alzheimer, de Parkinson, ou la sclérose en plaques) et à en limiter considérablement les effets.
Mais cette posture comprend de nombreux autres bienfaits
qui doivent être ici relevés.
5. Les
autres bienfaits de la posture
Halasana génère des bienfaits que l’on a
déjà rencontrés à propos d’autres postures, telles que Viparita Karani et Sarvangasana. Mais nombre de ces
bienfaits se trouvent ici considérablement accentués.
L’étirement de
la musculature du dos génère un fonctionnement plus harmonieux des glandes surrénales qui chapotent les reins. En assurant une régulation de
la sécrétion d’aldostérone par la glande cortico surrénale Halasana contribue ainsi à réduire
l’hypertension.
Nous nous
bornerons à rappeler les effets favorables d’Halasana sur les viscères abdominaux (digestion facilitée, lutte
contre la constipation) qui sont la conséquence d’une revitalisation du système
nerveux parasympathique (voir ci-dessus).
La compression particulièrement
accentuée de la glande tyroïde en régule le fonctionnement.
L’excellente
irrigation sanguine de la tête favorise les activités cérébrales. Cette posture
est particulièrement source d’une grande créativité
intellectuelle.
L’étirement
intense de la colonne vertébrale favorise la croissance des enfants et
adolescents. L’enroulement du rachis soulage les disques intervertébraux,
ce qui permet aux adultes qui ont un mode de vie sédentaire de ne pas trop se
« tasser ».
Les effets
esthétiques ne sont pas négligeables pour les hommes, comme pour les femmes.
Ainsi, la compression abdominale et le massage qui découle de la respiration
profonde conduisent à lutter efficacement contre l’embonpoint. Par ailleurs, l’étirement des fessiers, des cuisses
et des hanches permet de réguler l’accumulation de cellulite dans ces régions.
Halasana a donc des effets apaisants et régénère le fonctionnement
du corps dans son ensemble.
6. La
concentration dans la posture
Il est tout
d’abord essentiel de pouvoir maintenir le corps dans cette posture suffisamment
longtemps pour que les premiers effets bénéfiques puissent être recueillis.
On veillera donc
en premier temps à adopter correctement la posture. En l’adaptant à nos propres
capacités, on s’assurera constamment que notre attitude est ferme, stable et
confortable.
On veillera en
particulier à toujours respirer correctement et paisiblement. La respiration est
normale, régulière, sans aucune rétention. On pourra ainsi se concentrer sur le souffle.
Une fois cela installé,
il sera possible de se concentrer au niveau du cœur (anahatha chakra), centre d’énergie qui régit la bienveillance,
l’amour, l’altruisme. L’énergie sera ainsi mobilisée pour permettre le déploiement,
l’épanouissement de ces qualités à travers lesquelles l’être humain se réalise
pleinement.
Halasana est
donc une source précieuse de bienfait pour l’esprit et pour le corps. Seules contre-indications,
on évitera cette posture en cas de sciatique et de problèmes cardiaques
CONCLUSION
Grâce
à Halasana, le pratiquant occidental
peut accéder à une plus grande sérénité compte tenu des effets bénéfiques que
cette posture produit sur le système nerveux.
Grâce
à cet esprit plus stable, plus posé, nous parvenons plus facilement à garder à
distance les émotions négatives qui sont causes de souffrances. Nos actions deviennent
ainsi plus justes (Karma) et nous
parvenons à mieux prendre conscience de la nature réelle des phénomènes par-delà
leur apparence trompeuse (Jnana). Comme
nous l’enseigne le symbolisme de la charrue, Halasana vient ainsi fertiliser pleinement notre vie.
Christian Ledain
Christian Ledain