La notion de karma est partagée par plusieurs systèmes
de pensées indiens qui recourent, par ailleurs, aux techniques du Yoga :
l’hindouisme, le bouddhisme et le jaïnisme.
Ces conceptions philosophiques mettent toutes en avant
le rôle fondamental du karma pour expliquer des phénomènes aussi fondamentaux
que le sens de l’existence humaine, l’organisation de la société, les
différences entre les êtres.
1.
Une
notion au contenu très riche
Le mot karma vient de la racine sanskrite « kri » qui veut dire agir, faire, racine que l’on retrouve dans l’expression Kriya Yoga.
Le mot karma a une double signification : il
désigne à la fois l’acte et le résultat de cet acte. Le karma désigne donc la
loi de causalité qui relie un acte à ses conséquences.
Il est nécessaire de préciser la notion d’acte. L’acte
recouvre un champ très large puisqu’il englobe non seulement les actes du
corps, mais aussi ceux de la parole et, plus étonnement peut être pour nous
Occidentaux, les actes de l’esprit, c’est–à-dire les pensées. Une telle
conception révèle qu’une pensée n’est pas neutre, mais qu’elle est agissante.
La loi du karma n’est pas une loi de la dépendance
généralisée : tout n’est pas relié à tout et réciproquement. Le concept de
karma met uniquement en relation certains actes avec certains résultats. Par
exemple, si, en me mettant à la fenêtre, je suis témoin d’un accident de
voitures, je commettrais une erreur en pensant que c’est parce que je me suis mis à la fenêtre que cet accident est survenu.
Entre ces deux évènements n’existe manifestement aucune relation de cause à
effet. Et si je le crois, il vaut mieux que j’aille consulter d’urgence!
Une action peut avoir des conséquences à l’égard de
nombreux êtres. Si, en rencontrant une personne dans la rue, je lui adresse des
compliments sincères, ces paroles agissent non seulement sur la personne à qui
elles sont destinées, mais aussi sur ses enfants qui l’accompagnent, sur les
passants qui s’imprègnent de l’atmosphère amicale de notre discussion, et sur
moi-même qui les formule.
Un acte peut être positif, négatif ou neutre, selon
les conséquences qui en découlent. De même qu’en horticulture « on juge un
arbre à ses fruits », on juge un acte à ses conséquences. Un acte est
ainsi dit positif lorsqu’il engendre des conséquences positives, c’est-à-dire
lorsqu’il est source de joie, de bien-être, d’épanouissement, de bonheur.
Inversement, un acte est dit négatif lorsqu’il engendre des conséquences
négatives, c’est-à-dire du désagrément, de la douleur, de l’insatisfaction, de
la nuisance. Par exemple, lorsqu’une personne, à l’occasion d’un spectacle, est
inspirée par la haine et profère des paroles malveillantes, accompagnées de
gestes dégradants, il s’agit incontestablement d’actes négatifs. Les personnes
visées par ces propos et ces gestes vont ainsi s’en trouver blessées, le public
complaisant va en être sali, et l’esprit de celui qui les aura prononcées s’en
trouvera avili, souillé.
Les grandes philosophies de l’Inde définissent donc
avec précision quels sont les actes négatifs qu’il convient d’éviter et les
actes positifs qu’il importe de favoriser. Dans le brahmanisme il est ainsi
extrêmement important de respecter les devoirs de la caste à laquelle on
appartient par la naissance. Le bouddhisme, lui, définit dix actes non vertueux
dont il convient de s’abstenir (ôter la vie, prendre ce qui n’a pas été donné,
mentir, médire, créer de la discorde, prononcer des paroles oiseuses,
convoiter, agir avec malveillance et adopter des vues fausses) et encourage dix
actes vertueux qui constituent l’exact contraire des précédents. Le jaïnisme,
centré sur la notion de non-violence, pousse à son maximum le respect accordé à
la vie, incitant ses adeptes à ne pas porter de chaussures faites en peau
animale, ou leur recommandant de placer devant le nez une gaze afin de ne pas
risquer d’aspirer par inadvertance un tout petit insecte.
Ces principes que nous venons de citer ne sont pas
étrangers à notre culture occidentale. On en retrouve ainsi certains dans l’Ancien Testament: « Tu ne tueras
point. Tu ne commettras point d'adultère. Tu ne déroberas point. Tu ne porteras
point de faux témoignage contre ton prochain. Tu ne convoiteras point la maison
de ton prochain. Tu ne convoiteras point la femme de ton prochain, ni son
serviteur, ni sa servante, ni son bœuf, ni son âne, ni aucune chose qui
appartienne à ton prochain. » (Pentateuque,
Exode, chapitre XX, 13-17, édition la
Pléiade Ancien Testament T1, page
234)
Une différence fondamentale existe néanmoins entre les
commandements que nous venons de citer et les principes du karma: les premiers
se fondent avant tout sur l’autorité,
tandis que les seconds reposent plus sur la raison. Dans la Bible, les commandements sont énoncés par le Dieu
créateur de l’univers, et l’homme doit s’y soumettre ; les principes du
karma énoncés dans le bouddhisme se fondent sur l’observation de la nature des
choses et tout un chacun peut se les approprier en vérifiant par soi-même la
validité de ces énonciations. Par exemple, si on accomplit tel acte négatif on
fera l’expérience de la souffrance, inversement la commission d’un acte positif
sera cause de bonheur.
Il n’est pas possible d’échapper au karma : on aura
beau se cacher, s’enfoncer sous terre, chercher à disparaître dans les océans,
aucun lieu ne saurait nous mettre à l’abri des conséquences d’un acte négatif,
pas plus qu’il ne saurait Inversement nous empêcher de profiter des
conséquences heureuses d’un acte positif
Le résultat d’un acte est inéluctable, par contre le
moment où ce résultat se manifestera est indéterminé. En d’autres termes, il
nous est impossible de savoir à quel moment nous recueillerons les fruits,
positifs ou négatifs, de notre acte. Parfois, ce résultat est très rapproché,
presqu’immédiat : on parle alors de karma de l’instant, thème de la
formidable chanson de John Lennon, Instant
Karma. Parfois, le résultat est
beaucoup plus long à se manifester. Il est même possible que ce résultat ne se
manifeste pas en cette vie-ci.
La théorie du karma est, en effet, articulée à celle
de la réincarnation. Tout adepte du Yoga adhère à ces deux notions en Inde. Le
but ultime de sa pratique n’est d’ailleurs pas simplement d’être en bonne santé
physique et mentale, mais de mettre fin au cycle des renaissances (samsara).
Pour attester le sérieux de cette croyance en la
réincarnation, notion peu familière à notre culture occidentale, nous nous
bornerons à renvoyer aux travaux scientifiques du psychiatre Ian Stevenson qui,
pendant trente ans, a étudié les témoignages de personnes faisant état de
souvenirs de vies antérieures, souvenirs dont l’exactitude a pu être exactement
vérifiée (Vingt cas suggérant le
phénomène de réincarnation, Poche, collection J’ai lu, 2007).
Il est maintenant nécessaire d’expliquer comment
fonctionne la notion de karma sur le plan psychologique.
2.
Nos
actes façonnent notre esprit et notre vie
Chacune de nos actions laisse une trace (samskara) dans notre esprit, trace
semblable à l’empreinte d’un pas laissé dans la neige. Ces traces s’agencent,
s’associent et finissent par créer dans notre esprit certaines tendances,
certains traits de caractères qui nous sont propres. Ainsi, notre comportement
réitéré finit par façonner, modeler notre esprit. Nous sommes ainsi la somme de tous nos actes antérieurs. Et la
structure de notre esprit nous conduit alors, en retour, à privilégier certains
comportements qui nous sont familiers. La théorie du karma illustre ainsi les
observations du philosophe Pascal : « La coutume est une seconde nature qui détruit la première. » (Les
Pensées, 117, in Œuvres complètes, la Pléiade, page 578)
Quand une personne meurt, le corps se dégrade, périt,
mais quelque chose demeure qui transmigre. Ce quelque chose, l’hindouisme et le
jaïnisme le nomment atman (l’âme), tandis
que le bouddhisme l’appelle continuum mental. Ce qui survit va à nouveau
s’associer à un corps et reprendra naissance sous une forme qui dépend des
tendances dominantes qui auront été accumulées au cours de nos vies
précédentes. Ainsi, une vie caractérisée par l’abrutissement créera les
conditions d’une renaissance sous forme animale, tandis que la commission d’actes
inspirés par la haine, conduira à une renaissance en Enfer.
En apparence, donc, rien de nouveau par rapport à la
promesse du catholicisme de laisser l’âme d’un criminel rôtir dans les
tourments de l’Enfer. A une différence fondamentale près : ce séjour, même
long, est nécessairement temporaire et ne saurait donc être d’éternel : une
fois le karma négatif purgé, ce qui transmigre reprendra naissance dans une
condition d’existence plus favorable, par exemple, l’existence humaine. Et cet
être pourra ainsi progresser vers la délivrance que l’hindouisme et le jaïnisme
appellent Moksha (Libération) et le
bouddhisme nomme Nirvana
(Extinction).
Cette théorie du karma explique ainsi qu’à la
naissance nous arrivons tous avec un certain bagage : les traces laissées
dans notre esprit par tout ce que nous avons accompli précédemment. Cette
situation explique que les êtres vivants naissent avec des formes différentes
et des aptitudes différentes.
Le karma rend ainsi compte de notre apparence
physique, mais encore des traits de notre personnalité que nous manifestons dès
le plus jeune âge, ainsi que de nos conditions d’existence : le pays dans
lequel nous vivons, la famille dans laquelle nous naissons, nos qualités et nos
défauts. Plus largement encore, la théorie du karma rend compte de tout ce dont
nous faisons l’expérience, instant après instant : rien ne saurait surgir
sans cause, par conséquent, tout ce que nous vivons procède de causes et de
conditions antérieures. Si nous sommes dans un pays en paix, épargné par les
catastrophes naturelles, où la démocratie s’exerce, où les droits de l’homme
sont respectés, c’est que nous avons accompli de très nombreux actes positifs
dans nos vies antérieures, maintenant parvenus à maturité. Par-delà les
vicissitudes de notre existence, il est essentiel que nous prenions pleinement
conscience de ces circonstances favorables qui nous entourent, afin de nous en
réjouir et de générer de nombreux actes bénéfiques, générateurs de futurs
karmas positifs.
Lorsqu’on examine cette théorie du karma toute
rationnelle et si bien ordonnée, une objection ne manque pas de s’élever dans
notre esprit. Comment expliquer, comme nous en informe parfois la presse, que
tel mafioso, responsable de la mort de nombreuses personnes, puisse finir paisiblement
ses jours dans son lit, à un âge très avancé, sans avoir exprimé le moindre
remords ? Il y a là quelque chose qui choque incontestablement notre sens
de la justice. Comment une telle situation peut-elle s’expliquer selon la loi
du karma ? Comme nous l’avons indiqué précédemment, tout ce dont une
personne fait l’expérience est inéluctablement la conséquence de ses actes
antérieurs. Par conséquent, cette fin de vie paisible, enviable, est simplement
la conséquence d’actes positifs nombreux, accomplis en cette vie ci ou dans une
vie antérieure. Maintenant, les actes criminels épouvantables que vient
d’accomplir ce mafioso en cette existence-ci constituent des graines qui
viendront immanquablement à maturité et occasionneront une très grande
souffrance. Les meurtres qu’il aura commis, et ceux dont il aura été le
commanditaire, se traduiront immédiatement par une renaissance infernale pour
une très longue durée.
3.
Il nous est possible de purifier un
karma négatif antérieur
Heureusement, l’hindouisme, le bouddhisme et le
jaïnisme sont ainsi porteuses d’un immense espoir: il nous est possible de
purifier notre karma car il n’est pas d’acte négatif qui ne puisse être
nettoyé.
Chaque tradition développe donc des méthodes qui lui
sont propres.
Le jaïnisme met ainsi en avant la pratique de
certaines austérités.
L’hindouisme, lui, met l’accent sur le respect des
rites. Les millions d’Hindous qui, chaque année, viennent faire leurs ablutions
dans le Gange, le font avec la croyance de purifier ainsi tout leur karma
négatif et de se préserver d’une renaissance funeste.
De son côté, le bouddhisme préconise la transformation
intérieure, celle de l’esprit. Le pratiquant va ainsi prendre refuge, générer
un regret sincère, s’engager à ne plus commettre l’acte négatif considéré et,
enfin, mettre en œuvre l’antidote adapté (par exemple, la récitation d’un
mantra spécifique).
Pour toutes ces traditions, il importe, bien sûr, de
ne pas perdre de temps et d’agir avec foi et détermination.
4.
Le
Yoga : un outil pour réaliser la Connaissance
La connaissance de la loi du karma constitue une
condition indispensable pour nous libérer de la souffrance inhérente à notre
existence humaine. Car, si nous poursuivons tous le bonheur, nous devons bien
constater que, par notre méconnaissance de la nature fondamentale des choses,
nous ne cessons de créer les causes de notre souffrance future.
La loi du karma constitue donc une composante
essentielle de la sagesse (Jnana) enseignée
par l’hindouisme, le bouddhisme et le jaïnisme.
Mais cette connaissance ne doit pas demeurer purement
intellectuelle, elle doit être totalement assimilée, pleinement réalisée. Cette
intégration ne peut se faire que patiemment, au cours d’un processus de familiarisation progressive. Un
tel processus est ce que l’on nomme méditation (dhyana), phase avancée de la pratique du Yoga.
Les techniques enseignées par le Yoga sont donc mises
au service de cette appropriation de la connaissance. Etudier la sagesse sans
utiliser le Yoga serait comparable à disposer d’un bon manuel d’horticulture
sans jamais toucher un seul râteau. Inversement, recourir aux techniques du
Yoga sans connaitre la sagesse serait aussi fructueux que gratter
frénétiquement la terre, ou l’inonder. Il est donc nécessaire, pour voir ses
plantations grandir et recueillir de beaux fruits, d’unir les deux, la
connaissance et les outils techniques. Unir la sagesse et le Yoga constituera
la promesse d’une vie plus heureuse. Tout un chacun peut s’en assurer par sa
propre expérience.
CONCLUSION
Le Yoga nous encourage à développer l’amour, l’altruisme,
la vertu, la bonté. Non par naïveté, mais par suite d’une compréhension
profonde de la nature des choses. Dans une période troublée, où les repères
s’estompent, le Yoga nous rappelle avec insistance notre liberté et notre
responsabilité : nous construisons à chaque instant notre vie de demain.
Il est donc essentiel de ne pas dilapider le temps dont nous disposons, en ce
moment où nous jouissons de cet excellent support que constitue la vie humaine.
Christian LEDAIN
Post-scriptum :
. Les personnes intéressées par le jaïnisme pourront s’inspirer
de la vie de Gandhi, en lisant, par exemple, l’excellente biographie rédigée
par Jacques Attali
. Les personnes souhaitant pratiquer l’hindouisme
selon le Védanta pourront se rendre au centre védantique Ramakrishna de
Gretz-Armanvilliers
. Les personnes souhaitant découvrir l’enseignement et
la pratique bouddhiste pourront s’adresser à moi car il existe plusieurs
centres excellents en région parisienne.
Pour approfondir :
Heinrich Zimmer, Les philosophies de l’Inde,
collection Payot, 1997
Arthur Avalon, Introduction à l’hindouisme
tantrique, éditions Dervy Livres, 1983
Ian Stevenson, Vingt
cas suggérant le phénomène de réincarnation, Poche, collection J’ai lu,
2007.
N'hésitez pas à m'écrire (Christianledain@Wanadoo.fr)
vos questions, vos remarques me permettront d'aller plus avant.