Pratyahara : le nécessaire retrait des sens

 

Nos organes des sens sont des portes ouvertes sur le monde extérieur et nous permettent de connaitre notre environnement. Nous recevons ainsi par leur intermédiaire toutes sortes d’informations, dont certaines nous sont indispensables  pour prendre les bonnes décisions et agir de façon adaptée dans notre vie quotidienne. Ainsi, nos yeux perçoivent la voiture qui se dirige vers nous à vive allure au moment où nous allons traverser. Et si nous sommes alors distraits, ou absorbés par notre communication téléphonique, le klaxon du véhicule nous informera du danger !

Notre esprit se trouve constamment attiré par ces perceptions sensorielles, quasiment aimanté par elles.  Ces sollicitations incessantes sont encore accentuées dans notre société « hyper connectée ».

Cependant, cette relation continuelle avec le monde extérieur nous empêche d’être en contact avec nos aspirations personnelles, nos besoins profonds. Déjà, Blaise Pascal écrivait : « Tout le malheur des hommes vient d'une seule chose qui est de ne pas savoir demeurer au repos dans une chambre ».

Pour que notre esprit ne s’épuise pas et que nous puissions trouver un équilibre intérieur, il nous est donc parfois indispensable de nous mettre en retrait du monde.  Il n’est pas indispensable pour cela de trouver une grotte car ce qui importe ce n’est pas l’isolement du corps, mais celui de l’esprit.

 

I  DEFINITION

Le mot Pratyahara est un terme sanskrit composé de deux parties.  Ahara signifie « nourriture »,  terme qui désigne non seulement les aliments que nous donnons à notre corps, mais aussi ceux que l’on propose à notre esprit. De son côté, Prati veut dire « loin de ». Avec Pratyahara il s’agit donc d’éloigner notre esprit des sollicitations d’origine externe pour lui permettre de se recentrer, de revenir à soi.

Patanjali donne une définition célèbre dans un aphorisme des Yoga Sutras : « lorsque les sens, à l’image du mental (citta), ne viennent pas en contact avec leurs objets respectifs, c’est pratyahara.² »

Pratyahara constitue une branche essentielle de l’Ashtanga Yoga, aussi appelé Raja Yoga. Le but de la discipline³ étant de réduire les perturbations mentales (kleshas), huit aspects de la pratique doivent être progressivement maitrisés par l’adepte : Yama et Nyayama définissent les principes éthiques indispensables, Asana montre les attitudes corporelles bénéfiques, Pranayama enseigne la maitrise du souffle et de l’énergie, tandis que Pratyahara expose le retrait des sens. Viennent enfin les trois dernières étapes : Dharana (concentration), Dhyana (méditation analytique) et Samadhi  (l’accomplissement).

 

II  EXERCICES

 

·                  PRENDRE LA CHALEUR DES MAINS

La pratique suivante n’est pas référencée dans les textes classiques du Yoga. Toutefois, sa simplicité qui la rend accessible à tous en fait une excellente pratique préparatoire.

Placez-vous dans un endroit calme. Levez les mains au-dessus de votre tête et frictionnez les l’une contre l’autre jusqu’à obtenir une sensation de chaleur. Fermez ensuite les yeux et posez vos paumes sur les yeux, sans exercer la moindre pression. Sentez la chaleur qui se communique à vos paupières, vos yeux. Laissez cette douce chaleur se diffuser, agir à l’arrière de vos globes oculaires. Les tensions accumulées à cet endroit se dissolvent, la fatigue accumulée à cet endroit se dissipe.

Pendant quelques instants, vous renoncez à vous intéresser aux phénomènes extérieurs qui surviennent tout autour de vous. Vous ne prêtez attention ni aux cris des enfants qui jouent, ni au bruit de la ventilation, pas plus qu’aux odeurs, ou au contact de vos fessiers avec votre siège. Vous prenez la douce chaleur qui émane de vos paumes et vous laissez les tensions se libérer à l’arrière de vos globes oculaires.

Votre respiration s’accomplit de façon naturelle, non régulée, sans y prêter particulièrement d’attention. Gardez cette attitude pendant une à trois minutes, si cela est possible.

 

·                  YONI MUDRA

Yoni Mudra est un exercice traditionnel de yoga. Il consiste à se servir de nos doigts pour fermer les ouvertures sensorielles de la tête. Ceci permet d’orienter l’attention et l’énergie vers l’intérieur.

La méthode est très simple. En position assise, la tête droite, placez les extrémités de vos doigts de la façon suivante :

 . les pouces obturent les oreilles,

 . les index sont posés sur les paupières closes,

 . les majeurs ferment les narines,

 . les annulaires sont posés au-dessus de la lèvre supérieure, tandis que les auriculaires sont placés sous la lèvre inférieure pour obturer la bouche.

On ferme ainsi les portes des sens. Les coudes sont placés à la hauteur des épaules, comme dans le dessin ci-dessous : 

 

Les doigts ferment les portes des sens

Prenez une inspiration profonde et retenez le souffle (kumbaka) avec les poumons pleins pendant quelques instants, sans forcer. Écoutez alors le silence intérieur.

Yoni mudra est souvent adopté à la fin des pratiques de Pranayama.

 

·                  YONI MUDRA AVEC BHRAMARI PRANAYAMA

Il est possible d’enrichir la pratique précédente en la complétant avec Bhramari Pranayama. On réalise alors Yoni mudra en produisant, lors de l’expiration, un son semblable au bourdonnement (Bhramari) d’une abeille.

Pour cela, installez-vous comme précédemment. Puis, prenez une inspiration profonde en dégageant les narines. Puis, fermez les en gardant le souffle plein durant 3 secondes environ. Puis, soulevez les majeurs pour expirer par le nez en produisant le son d’un bourdonnement d’abeille. Écoutez ce son d’origine intérieure qui résonne dans votre tête, sentez cette vibration se diffuser dans tout votre crâne. Recommencez et faites-le plusieurs fois d’affilée.

Cette pratique procure de nombreux bienfaits mesurés scientifiquement et dont vous pourrez valider l’existence par votre propre expérience. Ainsi, les perturbations mentales sont réduites, particulièrement le stress, l’anxiété et la colère. L’esprit devient aussi plus calme et le sommeil de meilleure qualité. La pression artérielle se trouve régulée et le rythme cardiaque s’apaise. Les acouphènes sont réduits. La capacité à se concentrer se développe. Les sinus sont dégagés et  la capacité respiratoire se trouve améliorée.

 

CONCLUSION

Ces exercices vous permettront pendant quelques instants de déconnecter votre esprit des sollicitations extérieures, de ramener votre conscience vers l’intérieur. Cela apaisera votre système nerveux.

Et si vous trouvez ces pratiques trop contraignantes pour le moment, commencez par fermer votre portable pendant quelques minutes. Rétrospectivement, vous vous rendrez compte que cela a été assurément le premier pas vers la Libération !

 

Christian Ledain,

Professeur de la Fédération Française de Hatha Yoga

 

NOTES

                 Blaise Pascal, Pensées, B139, Divertissement

·         ² « Sva-vishayasamprayoge chitta-svarupanukara ivendriyanam pratyahara » (Patanjali, Yoga sutras, II, 54)

·             ³ « Yoga citta vritti nirodha » (Patanjali, Yoga sutras, I, 1)