liberté et
responsabilité
Quand on pratique le Yoga c’est souvent pour se libérer de
difficultés physiques ou mentales et obtenir une meilleure santé.
Etablir ce rapprochement entre nos actions et leurs conséquences,
c’est comprendre la loi du karma. Et il ne saurait y avoir de pratique
authentique du Yoga sans la pleine intégration de cette loi car comment
pourrait-on obtenir les résultats désirés sans en avoir générer préalablement les
causes ?
La loi du karma se manifeste parfois d’une façon grossière,
immédiatement perceptible. Mais, quelquefois elle se déploie d’une façon
subtile qui échappe à nos perceptions ordinaires. Ainsi, lorsqu’à la suite d’un
meurtre, l’auteur est conduit en prison, nous établissons très facilement la
relation de cause à effet entre ces deux événements. Pourtant, on sait bien que
tous les meurtriers ne finissent pas emprisonnés et que certains terminent leurs
jours, à un âge très avancé, dans une riche demeure, entouré de nombreux
serviteurs. « Où est la loi du karma là-dedans et où est la justice ? »
peut-on alors se demander. Révolté, on pourrait même renoncer à toute éthique
et choisir de se comporter en malfrat, ce qui serait une erreur grossière,
source de graves difficultés.
Il est donc nécessaire de clarifier la notion de karma (I) et
de préciser les principes éthiques qui en découlent (II).
I Une notion simple au contenu très riche
Les lignes générales de la loi du karma sont faciles à
comprendre.
11 Une notion aisément compréhensible dans son principe
Tout acte engendre des conséquences qui sont de même nature que l’acte initial. Ainsi,
lorsque je regarde par ma fenêtre et que je vois un chêne, je sais avec
certitude qu’un gland a été à son origine, et que cela ne peut en aucun cas être un noyau de pêche, ou un pépin de pomme.
Le gland est donc la cause essentielle de l’apparition du
chêne.
Mais, le gland n’a pas suffi à lui seul à donner naissance à
ce chêne. Il a aussi fallu la présence d’une terre suffisamment fertile, d’un
ensoleillement adéquat et d’un certain taux d’humidité. Toutes ces circonstances sont les conditions qui
ont permis à la cause d’être
pleinement efficiente.
Ce mécanisme n’est pas propre à l’arboriculture : il est
à l’œuvre dans tous les événements de notre vie et vaut, de façon générale, pour
tous les phénomènes.
Le principe général énoncé, voyons maintenant plus en détail
les propriétés de la loi du karma.
12 Les nombreuses propriétés de la loi du karma éclairent des
situations très diverses
La notion de karma va permettre d’expliquer de nombreux
aspects de notre vie quotidienne qui apparaissaient obscurs. Ainsi quatre
principes régissent la loi du karma :
1. Le karma est certain
Lorsqu’une action a été accomplie, qu’elle soit positive ou
négative, il n’est pas possible d’échapper à la conséquence de cette action. Ce
résultat surviendra nécessairement lorsque le karma sera arrivé à maturité,
tout comme le fruit devenu mûr se détache de l’arbre et tombe.
Ainsi, un meurtrier aura beau se cacher, déjouer les
investigations de la police, il ne pourra échapper à son karma qui s’actualisera
inévitablement. Inversement, telle personne qui aura accompli un acte
bénéfique, comme donner de la nourriture à un être qui a faim, recueillera nécessairement
les bienfaits de son acte généreux, sous la forme de conditions matérielles
favorables.
Maintenant, le moment où le karma s’actualise ne nous est pas
connu d’avance et le délai qui s’écoule entre la commission de l’acte et sa rétribution
peut être court, long, voire très long (plusieurs vies). Si nos capacités
étaient extrêmement développées nous pourrions avoir une perception directe du moment où telle action arrivera à maturité et
donnera naissance à tel événement. Mais, si quelques êtres qui ont déployé
pleinement leur potentiel sont en mesure de le faire, cela échappe pour
l’instant au champ de nos capacités.
Comment donc comprendre l’événement que nous évoquions
précédemment : le mafioso qui après avoir tué plusieurs personnes meurt
dans sa riche villa sans avoir été arrêté par la police? Le fait qu’il jouisse
paisiblement d’une très riche maison est la conséquence d’actes généreux qu’il avait
accomplis antérieurement, en cette vie-ci, ou dans une vie précédente. Par
contre, le fait qu’il ne soit pas puni pour l’instant des meurtres qu’il a
commis vient simplement du fait que ces karmas négatifs ne sont pas encore venus
à maturité. Mais ils le seront inéluctablement, un jour ou l’autre : sa
vie sera alors écourtée de façon brutale en étant tué à son tour.
2. Le karma s’accroit
Lorsqu’un acte est accompli, cet acte laisse une trace, une
empreinte, dans notre esprit. Un délai de
latence, plus ou moins long, s’écoule entre le moment où l’acte initial se
trouve accompli et le moment où, le karma étant venu à maturité, la conséquence
de l’acte se manifeste. Pendant ce temps de latence le potentiel de l’acte
s’accroit dans notre esprit. Ainsi, une action négative, d’apparence minime, telle
qu’un larcin, pourra provoquer une conséquence négative très importante beaucoup
plus tard : perdre une grosse somme d’argent. Inversement, une action
positive modeste, telle que donner un peu de nourriture à un renonçant, pourra générer
un effet bénéfique considérable, tel qu’une grande richesse matérielle dans une
existence future. Ainsi, de petites causes peuvent être à l’origine de grands effets
et ne doivent donc pas être sous-estimées.
3. L’impossibilité de faire l’expérience
d’un phénomène dont on n’a pas généré la cause
Rien ne nous arrive « par hasard », ni par chance
ou malchance. Il n’y a pas de destin, de force extérieure qui agisse sur nous,
malgré nous, et crée nos conditions d’existence : tout, absolument tout, ce qui survient dans notre vie est la
conséquence d’actes que nous avons accomplis précédemment.
Si quelqu’un raye ma voiture, c’est qu’antérieurement j’ai
accompli une action de même nature. Si j’allais donc frapper cette personne, ou
l’insulter, j’accomplirai ainsi un acte négatif, générateur à son tour d’un
nouvel événement désagréable que j’expérimenterai plus tard. Ainsi, mes
difficultés, ma souffrance n’auraient pas de fin.
Ne dois-je donc rien faire face au malfaisant qui raye ma
voiture ? La loi du karma nous enjoint-elle la passivité face aux
mauvaises actions ? Aucunement. On doit agir et empêcher cette personne de
nuire parce qu’elle se cause du tort à elle-même et qu’elle en cause à autrui.
On doit agir non par haine, mais par altruisme, afin de protéger cette personne
des conséquences douloureuses de l’acte négatif qu’elle commet, du fait de son ignorance.
L’ignorance, et particulièrement la méconnaissance de la loi
du karma, est à l’origine de tous nos maux car si nous connaissions vraiment
les conséquences à long terme de nos actes nous renoncerions instantanément,
terrifiés, à nos actes négatifs pour nous appliquer avec ardeur aux actions
méritoires.
4. Le karma ne s’épuise pas
Une action que l’on a accomplie recèle un certain potentiel
karmique, positif, négatif, ou neutre. Le potentiel de cette action ne va pas
disparaitre spontanément par l’écoulement d’un certain temps. Il existe en
droit la notion de prescription qui conduit à ne plus pouvoir poursuivre en
justice un acte au-delà d’un certain délai. Mais il n’existe pas de telle prescription
à l’égard du karma : tel acte arrivé à maturité engendre inévitablement
une conséquence qui est de même nature.
Il peut donc nous arriver d’oublier telle action commise il y
a longtemps, cet oubli n’empêche nullement l’action de cheminer silencieusement
en nous. Et à un moment donné, nous expérimentons le fruit de l’acte sous forme
de bonheur ou de souffrance. Ainsi, on aura beau oublier l’action, elle ne nous
oubliera pas.
La loi du karma a pour conséquence de nous inciter à modifier
notre comportement dans la vie de tous les jours.
II Une
éthique pour la vie quotidienne
La reconnaissance de la loi du karma fonde une éthique par
laquelle on s’abstient de commettre des actes négatifs et on s’applique à la
réalisation d’actes positifs.
21. S’abstenir de commettre les actes
néfastes
Les actes négatifs sont ceux qui sont causes de souffrance.
Leur caractère négatif procède de leur nature intrinsèque même et ne découle
pas d’un statut qui leur serait conféré par une autorité.
Le champ des actes à proscrire est plus ou moins vaste selon
les engagements que l’on prend. Ainsi, peut-on d’abord renoncer à tuer des
êtres vivants, humains ou animaux, petits, comme les fourmis, ou gros, comme
les éléphants, et dont la vie est tout aussi respectable ; s’abstenir de
prendre les biens qui n’ont pas été donnés, ne pas mentir, ni avoir de relation
sexuelle avec une personne engagée par ailleurs ; de même s’abstenir de
consommer des substances qui altèrent le fonctionnement de l’esprit, telles que
l’alcool ou la drogue. Tout cela est excellent.
D’autres vœux, plus larges, engagent aussi à s’abstenir de proférer
des paroles injurieuses ou blessantes pour autrui, à ne pas médire de son
prochain, à renoncer à l’attachement, à dissiper l’ignorance en reconnaissant
la nature des phénomènes au-delà de leur apparence, et à renoncer à nuire à
autrui.
L’idée générale qui sous-tend ces principes éthiques est
simple : renoncer à travers les actions du corps, de la parole et de l’esprit à
causer du tort à autrui et à soi-même.
22. Développer les actes positifs
On ne se contentera pas de ne pas commettre ces actes
négatifs, on s’évertuera aussi à développer leur contraire, les actes positifs.
Par exemple, non contents de ne pas tuer, on protégera la vie, on soulagera la
souffrance des autres êtres, on prendra soin de la nature, on développera sa capacité
à soigner. En prenant soin des autres on découvrira que c’est la meilleure
façon de prendre soin de soi. Si cela nous apparait pesant au départ c’est
simplement qu’on est très centré sur soi, soucieux de sa propre personne ;
mais on découvrira vite qu’il y a une grande satisfaction à prendre soin d’autrui
et que cela nous protège plus puissamment qu’une armure.
23. Purifier les actes commis
antérieurement
Lorsqu’un acte négatif a été commis et que son résultat n’est
pas arrivé à maturité, l’acte demeure à l’état latent. Il est donc possible de
purifier notre esprit des traces que l’acte négatif y a laissées. Le principe
en est simple : il convient de reconnaitre la souffrance que l’on a causée
et de décider de ne plus reproduire cet acte négatif. Bien sûr, il existe des
rituels qui rendent cette purification plus rapide et plus complète, mais les
forces du regret et de l’engagement demeurent les composantes essentielles. Ainsi,
le mafioso aurait pu se repentir du fond du cœur des crimes qu’il avait commis
et décider de ne plus tuer aucun être, mais de protéger désormais toute vie. Il
aurait ainsi pu atténuer considérablement la force du karma négatif accumulé,
voire même le nettoyer complètement. Car il
n’est pas d’acte, si négatif soit-il, qui ne puisse être purifié : le
savoir est un formidable message d’espoir.
CONCLUSION
Pratiquer le Yoga c’est fondamentalement vivre en accord avec la loi du karma :
générer les causes d’une vie heureuse et se libérer de la souffrance.
Cela ne nécessite pas de posture physique particulière :
c’est une posture intérieure, une éthique, que l’on adopte à chaque instant de
notre vie. Et cet axe central, semblable au mont Mérou, nous confère une grande
assurance, une grande stabilité. La peur, l’anxiété diffuse① s’effacent ; le
doute qui embrumait notre esprit se lève. On sait que ce que l’on accomplit est
juste. Dès lors, la vie ordinaire, le quotidien, deviennent riches : les
qualités présentes dans notre esprit à l’état potentiel② peuvent s’ouvrir tel
un lotus. Et le lotus est bien le symbole de notre condition humaine : ses
racines s’enfoncent dans la vase, mais ses pétales, d’une blancheur immaculée,
sont tournés vers le ciel.
① La peur et l’anxiété sont la conséquence d’un manque d’éthique
② Grâce à l’éthique, la concentration va se développer. Il
sera ensuite possible de comprendre la nature des phénomènes et de réaliser ainsi
la sagesse.