Je voudrais vous présenter
certains exercices parfois regroupés sous l’appellation de « Yoga des
yeux ». Une telle dénomination est, en réalité, trompeuse : elle
laisse entendre qu’il serait possible de pratiquer le Yoga en dissociant
complètement telle partie du corps - les yeux - du reste de la personne. Or, il
n’existe pas plus de yoga des yeux qu’il n’y a de Yoga des pieds, des bras ou
du ventre !
On ne saurait pas non plus parler
à propos de ces exercices de « gymnastique oculaire »
car se serait en restreindre considérablement la portée.
Le Hatha Yoga ne vise pas à
découper le corps en tranches semblables aux rondelles d'un saucisson. Cette
discipline se propose de révéler l’unité
fondamentale de la personne humaine en allant au-delà des mécanismes
mentaux erronés qui cloisonnent, séparent et finissent par ruiner notre harmonie
intérieure. Cette unité de l’être procède
de l’interrelation constante de toutes les parties de notre corps, non
seulement entre elles, mais aussi avec notre souffle et avec notre esprit.
Bien sûr, en raison des aléas de notre
vie, il peut être nécessaire, à un moment donné, de solliciter plus
spécifiquement telle ou telle région de notre corps. Ainsi, sera-t-il indispensable,
après un accident de voiture, de pratiquer une gymnastique rééducative centrée
sur la mobilisation des jambes. Mais on ne saurait, dans cette circonstance, parler
de Yoga car l’esprit et la finalité de notre discipline sont tout autres.
Ni "Yoga des yeux", ni "gymnastique
oculaire", nous désignerons les exercices suivant sous l’appellation de « mouvements
oculaires ».
A l’intérieur du Hatha Yoga, les mouvements
oculaires doivent être différenciés des drishti.
Le terme drishti signifie
« regard » en sanskrit et sert plus particulièrement à désigner les
points de focalisation qui sont utilisés dans certaines postures. Ainsi, dans Trikonasana, la posture du triangle, une
main repose au sol entre les deux jambes tendues tandis que l’on regarde
intensément l’autre main dirigée vers le plafond. Dans les drishtis le mouvement des yeux est suspendu, le regard devient
immobile, ce qui n’est pas le cas pour les exercices que nous allons décrire.
La mise en œuvre de ces pratiques
oculaires est devenue aujourd’hui très importante en raison de la
transformation de notre société et de notre mode de vie. En effet, le
développement considérable des technologies nous amène à poser de plus en plus
souvent le regard sur des écrans. Que cela soit durant le temps de travail, ou au
cours de nos loisirs, nos yeux sont maintes fois exposés à des écrans
d’ordinateur, des consoles de jeux, des téléviseurs, ou autres tablettes. Devant
tous ces écrans notre regard se fatigue car il émane d’eux un rayonnement magnétique
intense. Ainsi, nos yeux se reposent-t-ils de moins en moins souvent, ce qui
occasionne fatigue, tension, maux de tête, perte
d’énergie, et finalement affaissement
de notre état de santé général. Aussi les exercices que nous décrivons vont
considérablement aider à soulager ces maux. Mais leurs bienfaits sont beaucoup plus
larges encore.
L’importance de la région
oculaire est trop souvent restreinte, limitée à la capacité de voir. En fait,
nos yeux nous exposent, nous révèlent au monde extérieur, tout autant qu’ils
nous permettent de percevoir ce monde extérieur. On connait ainsi quelqu’un en
le regardant droit dans les yeux, et en lisant les pensées qui l’animent. Le
regard permet aussi d’agir: un regard mal intentionné peut blesser aussi
surement qu’une flèche empoisonnée, tandis qu’un regard bienveillant apaise; et
les personnes qui, parmi vous, pratiquent les soins énergétiques savent bien qu’il
est possible de soigner par le regard, lequel devient ainsi le vecteur de l’énergie
de guérison.
C’est donc avec une vue extrêmement
large qu’il convient d’aborder les exercices qui sont ici présentés. Leur mise
en œuvre régulière favorise une belle expression de soi, permet de manifester une
présence assurée, une volonté ferme dans le champ des relations sociales, et de
développer notre capacité à soigner.
Bien sûr, les personnes qui
connaissent quelques difficultés avec leurs yeux (myopie, astigmatisme,
hypermétropie….) puiseront dans ce problème une source de motivation
supplémentaire. Il a, en effet, été constaté que les pratiques oculaires freinent
considérablement l’aggravation de ces défauts, et peuvent même améliorer
considérablement la situation. Ainsi, plusieurs personnes myopes ont pu
« récupérer » quelques dioptries grâce à la pratique régulière de ces
exercices et elles durent même changer leurs lunettes pour disposer de verres
moins épais ! Evidemment, ces exercices ont aussi des vertus préventives
et des personnes disposant d’une excellente vue pourront ainsi mieux la
préserver.
1. Recommandations
générales
A l’occasion des exercices
décrits ci-dessous, la région oculaire se trouve particulièrement sollicitée.
Aussi, veille-t-on à prendre conscience de ce qui se passe à l’arrière des yeux,
en percevant avec la plus grande finesse possible la contraction des muscles
oculaires. Par ailleurs, les déplacements du regard doivent être accomplis
pleinement, avec la plus grande amplitude possible afin que la mobilisation
musculaire soit entière.
Quand le regard se repose, entre deux exercices, le
pratiquant est réceptif à cette sensation agréable et la savoure pleinement.
Mais, notre corps formant un
tout, nous veillerons à ne pas limiter le champ de notre attention à la seule
région oculaire. L’esprit spacieux, ouvert à tout ce qui se présente, nous prendrons
aussi conscience des modifications qui surviennent au niveau de toute notre
tête, puis dans tout notre corps, et on accueillera les transformations qui s’élèvent
dans notre esprit.
Tous les
exercices se pratiquent en posture dite méditative : vous êtes en position
assise, le dos bien droit, la cage thoracique ouverte, les mains reposant sur
les genoux, le menton légèrement repoussé en arrière, la nuque bien étirée, la
tête droite. Il est, bien sûr,
possible de pratiquer assis sur une chaise.
Pour s’aider,
on peut se servir au départ d'une main, en plaçant le regard sur le
sommet de l’index. Mais, dès que le principe de l’exercice est compris, on peut
laisser cette main au repos sur le genou.
2.
La contraction rythmée des muscles oculaires
Le regard placé à l’horizontale, à l’occasion d’une
longue inspiration, vous ouvrez très largement les yeux. Les yeux doivent être
véritablement écarquillés sans rien regarder en particulier. Puis, sur une
longue expiration, vous fermez les yeux, le plus fortement possible, en
veillant à ne crisper aucune autre région du corps : gardez les mâchoires
desserrées, les épaules relâchées. C’est une tendance naturelle que nous avons
tous : étant bien appliqués, soucieux de bien faire, nous en faisons parfois
trop. Ainsi, en ne voulant contracter qu’un muscle, est-on tenté de tétaniser
toute une région. Il importe donc d’être vigilant et de ne mobiliser que les
seuls muscles oculaires en laissant tous les autres se reposer pleinement.
Faites cet exercice trois à cinq fois de suite, puis
laissez votre regard se reposer, les paupières closes.
3. Le déplacement linéaire en profondeur
devant soi
Le principe est très
simple : Il s’agit de déplacer le regard, rivé sur un point qui s’éloigne,
puis se rapproche de soi.
Cet exercice met en œuvre la
capacité d’accommodation du regard, c’est-à-dire la mise au point effectuée par
les yeux pour leur permettre de regarder à des distances différentes.
A l'inspiration, l'index se rapproche du nez, à l'expiration il s'en éloigne |
Ce mouvement oculaire combine deux
Drishtis : Maddya qui consiste
à fixer un point dans l'espace devant soi, et Nasagra qui amène à loucher en
regardant le bout de son nez.
Comme il est très difficile de
procéder à cette accommodation de l’œil sans le secours d’un support visuel, on
va s’aider de la main droite. Mais, si on est très concentré, on pourra s’en abstenir.
On tend ainsi le bras droit
devant soi, l’index vertical. On fixe du regard la partie supérieure de
l’index. Le regard restera accroché à ce point durant tout le temps de la pratique.
Sur une longue inspiration, l’index se rapproche lentement du nez, ce qui nous
amène à loucher progressivement. Puis, à l’expiration, l’index s’éloigne du
nez. On veille particulièrement à n’accélérer ni le rythme respiratoire, ni le
déplacement de la main. Au bout de quelques mouvements, des picotements
apparaitront, peut-être, au niveau des yeux. Dans ce cas, on prendra tranquillement
conscience de leur existence, sans pour autant interrompre l’exercice. Pourquoi
une telle attitude ? Parce que ces manifestations indiquent tout d’abord que
« cela » travaille correctement. Ensuite, parce que cette attitude nous
permet de sortir du cycle délétère dans lequel nous sommes pris
inconsciemment : l’action, suivie de la réaction automatique. Donc, on se
contentera d’identifier ces picotements sans en être affecté, sans vouloir les
chasser, et on les laissera simplement passer.
Faites cet exercice trois à cinq fois de suite, puis
laissez votre regard se reposer, les paupières closes
Comme le regard est en mouvement, cette pratique ne saurait
être confondue avec Trataka ou avec Shambavi mudra qui supposent la fixité
du regard sur un point immobile.
4. le déplacement horizontal
Le déplacement oculaire suivant combine deux autres drishtis : Dakshina qui porte le regard au maximum vers la droite et Vama qui consiste à effectuer la même chose
vers la gauche.
1 A l'inspiration, déplacez le regard vers la droite |
2 A l'expiration , ramenez le regard au centre |
3 A l'inspiration, déplacez le regard vers la gauche |
4 A l'expiration, ramenez le regard au centre |
Commencez
par placer votre regard à l’horizontale. Puis, sur une lente inspiration, laissez
vos yeux se déplacer lentement et régulièrement vers la droite, le plus loin
possible. A l’expiration, ramenez doucement le regard au centre. Puis, sur
l’inspiration suivante, déplacez votre regard tranquillement vers la
gauche, en poussant celui-ci à l’extrême. Enfin, lors de l’expiration suivante, ramenez
votre regard au centre.
Réalisez
cet exercice trois à cinq fois de suite, puis laissez votre regard se reposer,
les paupières closes.
Si c’est
nécessaire, durant une phase d’apprentissage, on peut s’aider en tendant le
bras droit devant soi et en suivant du regard le déplacement de la main. Mais,
très rapidement, on pourra s’en dispenser.
5. Le déplacement vertical
Sur une
lente inspiration, faites se déplacer vos yeux lentement vers le zénith, en
montant le plus haut possible. Puis, à l’expiration, ramenez tranquillement le
regard à l’horizontale. Sur l’inspiration suivante, déplacez votre regard vers
le nadir, en le descendant le plus bas possible. Puis, à l’expiration suivante,
ramenez-le à l’horizontale.
Réalisez
cet exercice trois à cinq fois de suite, puis laissez votre regard se reposer,
les paupières closes.
1 A l'inspiration, montez le regard au maximum |
2 A l'expiration, ramenez le regard au centre |
3 A l'inspiration, abaissez le regard au maximum |
4 A l'expiration, ramenez le regard au centre |
Le principe de ce déplacement circulaire est très simple : imaginez que vous soyez face au cadran d’une immense pendule et que vous suiviez du regard le déplacement progressif de la trotteuse. Votre regard décrit ainsi un très large cercle dans le sens des aiguilles d’une montre. Votre tête, bien droite, ne doit absolument pas se déplacer durant le temps de la pratique : seuls les yeux bougent.
Le regard se déplace lentement comme si on suivait le déplacement d'une trotteuse |
Concrètement, commencez par diriger votre regard vers le haut. Durant une expiration, vos yeux descendent en se déplaçant le long de la circonférence du cercle que vous tracez mentalement. Quand vos poumons sont vides, votre regard est parvenu au nadir. Il amorce alors, sur une inspiration, une remontée vers la gauche, toujours en décrivant un très large cercle.
Vous effectuez 3 rotations du regard dans le sens des aiguilles d’une montre. Puis vous accomplissez trois rotations dans le sens inverse. Enfin, vous alternez : décrivez un cercle vers la droite, puis un cercle vers la gauche, cela trois fois de suite.
Veillez particulièrement à ce que la rotation du regard se fasse tranquillement, sans aucune précipitation, en prenant appui sur une respiration posée et régulée : à l’expiration, le regard descend, à l’inspiration, il remonte. ;
L’attention ne se disperse pas : durant la rotation du regard, on ne prête attention à rien de ce que l’on voit : on est concentré sur la sensation de la mobilisation des muscles à l’arrière des globes oculaires.
Quand vous avez terminé, laissez votre regard se reposer, se détendre, les paupières closes pendant quelques instants. Et toujours, soyez à l’écoute de vos sensations. L’esprit ouvert, disponible pour accueillir toutes les manifestations qui se présentent.
7. Déplacement oculaire avec pression sur les yeux
Placez le bas de vos paumes sur vos paupières closes et exercez-y une pression. Attention, il convient d’être précis : ce n’est pas le centre des paumes qu’il convient de placer devant les yeux, mais la partie inférieure de la main, osseuse. Cette pression doit combiner douceur et fermeté. Elle ne doit donc être ni violente, ni imperceptible.
Pendant ce temps, veillez à ne crisper aucune partie du corps, notamment les épaules, les mâchoires et les doigts des mains. Car c’est une tendance largement partagée : quand on est très appliqué, soucieux de faire au mieux, on est tenté d’en rajouter dans l’effort, et on parvient alors à tout tétaniser.
Tout en maintenant la pression constante avec les mains, commencez à effectuer un déplacement oculaire : regardez tout d’abord, le plus possible vers le haut, puis le plus possible vers le bas, ensuite le plus loin possible vers la droite, enfin le plus loin possible vers la gauche. Tandis que vos yeux se déplacent sous vos paupières, vous sentez que la forme de l’œil n’est pas exactement ronde. Vous effectuez trois fois ce mouvement, puis vous inventez vous-même votre propre parcours.
Durant cette pratique, le rythme du déplacement oculaire et celui de la respiration doivent être maitrisés. Ceci est très important. En effet, dans notre vie quotidienne, nous nous centrons sur nos activités et oublions totalement notre respiration qui s’adapte ainsi involontairement au rythme de notre action. Dans cet exercice, nous pourrions, à tort, être tentés d’effectuer des mouvements oculaires rapides et de laisser ainsi notre souffle « courir » après nos déplacements oculaires. Il en découlerait très rapidement de l’agitation mentale. Voilà pourquoi la maitrise de la respiration et le maintien de mouvements oculaires lents sont si importants.
CONCLUSION
Il n’est pas fait référence à ces pratiques dans les textes ancestraux, tels que les Yoga Sutra, le Hatha Yoga Pradipika, ou les Upanishads qui exposent les pratiques fondamentales du Yoga. Cependant, ces exercices n’en méritent pas moins d’être intégrés à une séance de Hatha Yoga contemporaine, et ceci pour plusieurs raisons.
Inspirés des Drishtis, les points de concentration du regard, ces exercices correspondent aux besoins d’une population moderne exposée aux écrans. Par ailleurs, leur mise en œuvre s’effectue dans le respect des principes fondamentaux du Yoga : ces techniques oculaires doivent être accomplies dans une posture appropriée, avec une respiration épanouie et une activité mentale régulée.
Le Hatha Yoga est une discipline vivante et non un monument du passé : il est fondamentalement une voie de libération de l’être qui prend en compte l’évolution du monde dans lequel l’être humain se situe.
Aussi, la mise en œuvre régulière des mouvements oculaires, à raison de 10 minutes, vous permettra de vous reposer, vous régénérer, rétablir un excellent état de santé et trouver une paix intérieure à laquelle nous aspirons tous.
Christian Ledain