Voici une méditation qui
va vous servir de base pour développer la non-violence. Vous en avez déjà
développé une certaine forme, sans quoi vous ne participeriez pas à ce cours de
Yoga.
Générer une telle attitude
est indispensable pour obtenir des résultats ordinaires qui sont ceux que les
Occidentaux recherchent : être moins stressé, moins anxieux, moins
irritable, et obtenir une très bonne santé physique. Mais son affermissement
s'avère nécessaire pour obtenir les résultats supérieurs de la pratique.
Il est certain que la mise en œuvre de quelques techniques de Hatha Yoga après l'accomplissement d'une telle méditation produiront de très grands bienfaits.
Il est certain que la mise en œuvre de quelques techniques de Hatha Yoga après l'accomplissement d'une telle méditation produiront de très grands bienfaits.
Traditionnellement, un maître ne décide d’accepter pour élève
qu’une personne qui présente les qualités requises pour la discipline. Cette
exigence n’a , au fond, rien d’étonnant.
Nous prenons bien soin de servir un excellent plat dans des assiettes propres,
il est donc légitime de déposer les excellentes techniques du Yoga dans un
esprit dépourvu de souillures grossières.
Au fil des mois et des années de pratique, cette aspiration
non violente ne cessera de s’affirmer davantage pour constituer l’axe même de la
vie du Yogi : tous ses actes du corps, de la parole et de l’esprit
convergeront vers cette finalité : respecter la vie, la magnifier et lui
permettre de s’exprimer pleinement.
Pour affermir une telle orientation de l’esprit, il est indispensable
de méditer.
Pour cela, l’ordre des opérations intellectuelles à respecter
est le suivant : d’abord apprendre, puis réfléchir et, enfin, méditer.
Apprendre signifie qu’il faut recevoir un
enseignement, c’est-à-dire écouter attentivement un discours cohérent qui rende
compte de la vérité profonde d’un phénomène.
Réfléchir exige de passer un tel discours au
crible de la raison : examiner les objections qui se présentent et les
réfuter, éclaircir les zones d’ombre et dissiper les doutes. On se « collette »
avec l’enseignement comme on éprouve la solidité d’un tissu, en le tirant dans
tous les sens.
Lorsqu’on est parvenu à une ferme conviction, qu’un avis
contraire ne saurait plus ébranler, alors on médite : on se familiarise,
jour après jour, avec l’excellence de ce qui a été transmis, jusqu’à ce que cela
ne fasse plus qu’une unité avec notre esprit. A chaque méditation, le nœud
coulant de l’ignorance se desserre un peu plus.
Pour que notre esprit soit pleinement empli de non-violence, pour
qu’il devienne amour et altruisme, il est indispensable de méditer sur le caractère
précieux de tous les êtres humains.
Précisons que la méditation qui va suivre ne présente aucun
caractère religieux. Elle respecte
pleinement la laïcité et les orientations spirituelles de chacun. Il ne sera
ainsi fait référence ici à aucune divinité, ni principe transcendant ou notion
philosophique qui pourrait heurter un esprit déjà tourné vers une foi
particulière, ou n’adhérant à aucune. Une telle méditation vise simplement à développer
notre part d’humanité, à renforcer
la fraternité entre les êtres, et ne fait appel qu’à des sentiments partagés
par tous.
Dans une société où le repli sur soi, la méfiance et l’égoïsme
deviennent comportements ordinaires, purifier notre esprit de telles souillures
est une ardente nécessité pour vivre simplement en paix avec les autres.
1.
Comment
percevons-nous habituellement les autres êtres humains
11. La classification usuelle
Ordinairement, nous rangeons les personnes dans trois
catégories bien définies : les amis,
les indifférents et nos ennemis. Ces trois catégories seraient, en principe,
bien étanches, durablement établies et fondées sur les vertus de l’évidence.
Nos amis, ou ceux que
nous appelons nos proches, sont ceux avec qui nous nous entendons bien. Nous
leurs réservons nos meilleures pensées, de douces paroles. Nous nous dévouons
pour eux et leur adressons tendresse et affection.
Les indifférents sont légions. Pourtant, ils n’existent
quasiment pas pour nous : nous les croisons, transparents, sans même les
saluer, ne leur adressant ni parole, ni regard. Leurs joies, comme leurs
souffrances, nous laissent de marbre. Voisins de palier, ou peuples du bout du
monde, ils forment les cohortes d’un peuple invisible à nos yeux.
Nos ennemis, ou dans une forme atténuée « les casse-pieds »,
nous agacent, nous irritent. Nous ne les aimons pas et leur gardons un chien de
notre chienne. Nous nous réjouissons, à tout le moins, de leurs difficultés, quand
nous ne les suscitons pas !
Une telle classification est séduisante : elle se pare de la simplicité de l’évidence. Tel
responsable politique français d’extrême droite assénait en 2006 : « Je
préfère ma famille à mes amis, mes amis à mes voisins, mes voisins à mes
compatriotes, mes compatriotes aux Européens. **» Il est vrai qu’il
énonçait cela avant de se brouiller avec sa fille qui n’eut de cesse de le
destituer de la présidence d’honneur de son parti !
Un tel exemple suffirait à nous inciter à réfléchir pour ne pas nous fourvoyer dans des choix
politiques hasardeux.
Une telle réflexion est d’autant plus importante que cette
classification n’est pas neutre :
elle sert à légitimer nos actions. Nous sommes gentils avec nos amis, neutres
envers les indifférents, peu tendres envers nos ennemis. Or, comme nos actions,
selon la loi de la rétribution des actes, sont à l’origine de notre bonheur ou
notre souffrance future, il est donc vital de fonder notre comportement sur des
bases certaines.
Or, précisément, les Yogis réfutent la validité de la classification
ordinaire.
2.
Le
rejet de la classification traditionnelle
Une telle classification n’est pas bien établie, elle est incertaine :
nous ne cessons de déplacer d’une catégorie à l’autre les êtres que nous y
rangeons.
Ainsi, le groupe des proches est douteux : les amis d’un jour
peuvent devenir des ennemis du lendemain.
Souvenons-nous de ces « deux amis de trente ans »
qui, à l’occasion de la campagne
présidentielle de 1995, se révélèrent de féroces adversaires, et ne se
sont plus jamais parlés depuis!
Moins célèbres, mais plus proches de nous, les exemples
foisonnent. Deux jeunes gens follement amoureux sont inséparables, ne peuvent plus
vivre un seul jour loin de l’autre. Et pourtant, trois ans plus tard, ces deux
êtres se séparent dans un violent divorce.
D’amis, on peut ainsi devenir ennemis, aussi rapidement qu’on
retourne un gant. Il suffit parfois d’une seule petite contrariété.
Inversement, nous connaissons tous de très belles histoires où
des personnes qui se détestaient de longue date parvinrent à se réconcilier et
à nouer des relations chaleureuses et constructives.
Ainsi, après la mort de Romeo et de Juliette, les familles
Montaigu et Capulet décidèrent de renoncer à la haine qui les opposait et firent
ériger une statue à la mémoire de leurs enfants disparus.
Il en va des pays comme des individus : des peuples
autrefois ennemis héréditaires, tels la France et l’Allemagne, sont devenus depuis
1945 de solides alliés.
Il serait donc bien puéril de fonder notre comportement à
l’égard des êtres sur des catégories aussi incertaines et instables que celles
d’amis et d’ennemis.
3.
Reconnaitre
le caractère précieux de tous les êtres et transformer notre comportement à
leur égard
Tous les êtres humains nous sont proches parce qu’au-delà de
différences mineures nous partageons une aspiration commune.
31. Percevoir notre unité de destin
Les Yogis développent une sagesse qui comprend la véritable
nature des phénomènes. Ils perçoivent ainsi l’unité profonde qui relie tous les
êtres. C’est d’ailleurs le sens même du terme sanskrit « Yoga » :
union.
Chaque être humain se trouve confronté au même problème
existentiel : la souffrance de la maladie, de la vieillesse et de la mort.
Les Yogis cherchent ainsi une voie de salut qui les libère définitivement de
cette charge et leur permette de
réaliser un bonheur authentique et durable. Tous ces êtres humains, amis,
indifférents, ou ennemis, poursuivent cet objectif fondamental : être en
bonne santé et heureux. Une telle aspiration scelle un destin commun entre nous
tous.
Maintenant
que nous avons établi le dénominateur commun entre toutes les personnes, voyons
comment chacune d’elle, proche ou non, nous est fondamentalement bénéfique.
32.Developper une attitude juste envers
les différentes sortes d’êtres
·
Les
êtres que nous aimons
Les Yogis nous enseignent : les êtres que nous aimons spontanément,
continuons à les choyer. Mais attention,
ne nous leurrons pas : ne confondons pas amour authentique et attachement.
Aspirons du fond du cœur au bonheur de l’autre personne, quitte à ce qu’elle se
sépare de nous, qu’elle aille ailleurs. L’attachement n’est qu’une pure illusion,
une création artificielle de notre esprit : nous exagérons les qualités de
l’autre personne et en minimisons les défauts. Et quand nous connaissons mieux
la personne, alors les écailles nous tombent des yeux et nos illusions
s’évanouissent. Le charme cesse d’opérer et nous sommes alors déçus : nous
reprochons à l’autre de ne pas être tel que nous l’avions conçu.
Alors, nous passons d’un aveuglement à l’autre : nous
nous mettons à majorer les défauts de la personne et ne voyons plus ses
qualités. A l’attachement a succédé l’hostilité : l’ami est devenue
ennemi.
La sagesse des Yogis décape le réel des oripeaux de
l’imagination car ils n’aiment rien
tant que la vérité.
Les Yogis font le choix toujours renouvelé d’aimer tous les
êtres tels qu’ils sont, parce qu’ils les voient avec l’œil de la compassion et
de la sagesse.
·
Les
êtres qui nous indifférent
Ceux que
nous considérons ordinairement avec indifférence, reconnaissons à quel point
ils nous sont, en vérité, utiles.
Nous nous identifions la plupart du temps à notre corps. Ainsi,
quand nous voyons son reflet dans une glace, nous pensons spontanément : « C’est
moi ! »
Nous nous plaisons à penser que nous existons par
nous-même. Pourtant, dans ce corps, il n’y a, en vérité, pas grand-chose qui soit
notre !
Constatons, déjà que ce corps a pour origine deux cellules
sexuelles qui viennent de nos parents, donc de deux êtres absolument distincts
de nous.
Par ailleurs, en sortant du ventre de notre mère, il y a eu des médecins, des infirmières qui
ont pris soin de nous à l’hôpital. Nous n’aimons pas nous en souvenir et
pourtant, sans eux, nous n’aurions pas vécu bien longtemps.
Nos parents, ces personnels médicaux nous ont donc été
extrêmement bénéfiques, sans eux nous ne disposerions pas actuellement de ce
précieux corps. Les Yogis leur vouent donc une grande reconnaissance.
Ce corps, ensuite,
a grandi, s’est fortifié, à partir des nutriments trouvés dans notre
alimentation journalière. Or, cette nourriture nous ne la produisons pas
nous-même, nous ne la fabriquons pas. Nous nous contentons de l’acheter et de
la consommer. Sans le travail des autres êtres, notre survie ne saurait être
assurée.
Songeons à ce qu’une simple bouchée de pain a nécessité comme
effort pour être produite et arriver jusqu’à nous. Ce pain a été fabriqué par
un boulanger, qui s’est servi d’un pétrin pour préparer la pâte, d’un four pour
la cuire. De tels accessoires ont eux-mêmes été fabriqués dans des usines. Leur
fonctionnement nécessite de l’électricité qu’il faut produire dans des
centrales, à partir de matériaux fissiles qu’il a fallu extraire de mines. De
son coté, la farine a été obtenue à partir d’une récolte faite par un
agriculteur qui s’est servi d’engrais, d’un tracteur pour labourer, d’une moissonneuse
pour couper. Ces outils avaient été eux-mêmes fabriqués ailleurs et exigent
pour fonctionner l’utilisation de carburant qui n’a pas jailli spontanément de
terre, mais a du être pompé par une compagnie pétrolière, puis raffiné,
acheminé par tanker, ou oléoduc… Une simple bouchée de pain n’a ainsi pu
parvenir jusqu’à nous qu’après que des dizaines de milliers d’êtres soient intervenus
et aient fourni un travail.
Tous ces
êtres qui nous permettent de vivre, et même parfois de simplement de survivre, soyons
leur reconnaissants.
De même, sans nos vêtements, nous ne pourrions pas vivre en
cette période de froid hivernal. Là encore, chacun de ces textiles, si modeste
soit-il, fabriqué en coton, a nécessité une culture dans une lointaine cotonnerie,
dont l’exploitation nécessite une grande quantité d’eau, puisée dans le
sous-sol par de grosses pompes…. L’esprit
se perd ainsi dans la contemplation de ces ramifications sans fin, tout comme
l’imagination de Pascal se perdait dans la contemplation des merveilles de
l’univers !
Pour chacun de nos habits, des dizaines de milliers de
personnes ont contribué par leur ouvrage à sa production. Soyons leur reconnaissants
de ce qu’ils ont accompli.
Notre métier, aussi, nous aimerions penser que nous
l’exerçons par notre seul mérite, nos seules capacités et compétences. Mais il
n’en est rien. Nous avons eu besoin de maitres, d'enseignants pour recevoir les
connaissances que nous possédons. Le chef d’entreprise, de son coté, a besoin
de salariés pour que son entreprise fonctionne. Et les salariés ont, en retour,
besoin d’être embauchés, encadrés, rémunérés.
Où que nous tournions notre esprit, nous ne sommes pas seuls,
nous avons constamment besoin des autres êtres. Tous ces êtres forment une
communauté qui nous aide à vivre.
Et quand je prends ma voiture, chaque jour, je pense à
remercier tous ceux qui me permettent de me rendre là où je dois aller car, sans
eux, je n’y parviendrai pas. Chacun d’eux est utile, précieux, et je le remercie
en mon cœur de son travail.
Ceux que je prenais spontanément pour « indifférents»,
par myopie, courtesse de vue, ceux dont je ne reconnaissais pas l’utilité, ils
m’apparaissent, à la réflexion, étonnamment précieux et je les remercie de leur
présence.
·
Les
êtres qui nous posent problème
Maintenant, pensons aux êtres qui nous agacent, nous irritent
et que nous rangeons dans la catégorie des « casse-pieds ».
Ils nous sont utiles à plusieurs égards. Ils nous permettent,
tout d’abord, de nous affirmer en leur posant
des limites et en les faisant
respecter.
Certaines personnes outrepassent leurs droits, ne respectent
pas la liberté d’autrui. Elles ont donc besoin d’être recadrées, remises en place,
sans méchanceté, mais avec la fermeté requise. Il est nécessaire de les
dissuader de persévérer dans un comportement néfaste pour elles, comme pour les autres êtres.
Ces personnes nous permettent aussi de développer un altruisme authentique. Si nous n’étions
bons qu’avec ceux qui le sont spontanément envers nous, nous n’aurions pas
grand mérite. Les Yogis ont un comportement bénéfique à l’égard de tous les
êtres humains. Simplement, avec certains ils utilisent des moyens plus
vigoureux qu’avec d’autres.
Enfin, ces êtres nous permettent de développer la patience. Il s’agit de ne pas répondre
aux insultes ou aux menaces, en vertu du principe de non-violence.
En ayant ainsi examiné successivement ces trois catégories -
amis, neutres, ennemis - nous percevons
que tous sont, d’une façon ou d’une autre, extrêmement bénéfiques.
CONCLUSION
Un tel exposé fait partie de l’aspect sagesse de la pratique du Yoga.
Ces réflexions vont à l’encontre du sens
commun qui range spontanément les êtres dans trois catégories. Mais nous avons
vu à quel point une telle classification était sans fondement véritable.
Il serait maintenant nécessaire d’investiguer en profondeur, de pousser ces réflexions aussi
loin que notre esprit peut le faire. Ainsi, nous parviendrons à générer une
conviction inébranlable, nous forger un avis ferme qui ne pourra pas être déstabilisé
par une opinion contraire, ou par la rhétorique fallacieuse d’un beau parleur.
Quand nous serons convaincus de la justesse de telles affirmations,
alors commencera la méditation proprement dite : s’imprégner, jour après
jour, de l’excellence de telles pensées pour infléchir, petit à petit, notre
esprit.
On peut se
dire : « Mais, c’est bien fatiguant de réfléchir
ainsi ! » Certes, mais la
transformation de notre esprit et de notre comportement est à ce prix.
Chaque fois qu’on reviendra vers de telles pensées, l’étau de
l’égoïsme et de l’ignorance se desserreront
un peu plus. Et quand nous ressentons de la fatigue, pensons que ce sont en réalité notre égoïsme et notre étroitesse de vue
qui se fatiguent.
En quelques jours, quelques semaines, nos relations sociales
se transformeront : au lieu d’un apriori négatif à l’égard de tout être
humain, ce sera une attitude d’ouverture, d’accueil, de respect, qui s’enracinera
un peu plus. Nos relations humaines deviendront plus fructueuses, plus joviales,
notre vie deviendra plus heureuse.
Dans un climat où les tensions sociales s’exacerbent, où les
êtres se replient sur soi, recherchent un petit bonheur à l’écart, dans une
bulle illusoire, les Yogis nous enseignent qu’être heureux passe nécessairement
par accueillir tous les êtres humains: on ne peut pas être heureux seul,
ni entre soi, mais en s’ouvrant aux autres.