la notion de réincarnation


Historiquement, le Yoga constitue un des sat darshana, un des six points de vue philosophiques sur le monde, énoncé par l’hindouisme. Chacun de ces sat darshana poursuit un objectif commun : mettre un terme au cycle des renaissances, appelé  samsara.  En effet, chaque être vivant, à travers différentes conditions d’existence, est amené à reprendre naissance des milliards et des milliards de fois. Comme dans ces différents états, les êtres y font l’expérience de la souffrance, ils cherchent nécessairement à s’en échapper. Le Yoga constitue donc une des voies qui mène à la cessation de la souffrance.

Maintenant, il n’est pas indispensable à un pratiquant occidental d’adhérer à la théorie de la réincarnation pour s’engager avec succès dans la pratique du Yoga. Il existe, en effet, différents niveaux de pratiquants, lesquels poursuivent des aspirations plus ou moins élevées. Il serait ainsi regrettable, pour une raison doctrinale, de  s’empêcher de profiter de bienfaits élémentaires, rapidement accessibles, sur le plan général de la santé, tant physique que mentale.

Par-delà même l’intérêt que l’on porte au Yoga, réfléchir à la réincarnation, aux fondements de cette théorie,  s’avère d’un intérêt capital pour un Occidental  qui pourra trouver dans ces réflexions un grand apaisement intérieur. En effet, dans une société où la mort est devenue tabou, où l’attachement aux nouvelles technologies fait ressurgir l’espoir de réparer l’être humain, et avec lui le rêve fou de l’immortalité, le refoulé ressurgit nécessairement sous forme d’angoisse. Réfléchir posément, en profondeur, à la réincarnation, c’est offrir à l’être humain une perspective plus souriante que l’horrible constat pascalien : « Le dernier acte est sanglant, quelque belle que soit la comédie en tout le reste. On jette enfin de la terre sur la tête et en voilà pour jamais. 

I La théorie de la réincarnation


L’idée générale est assez simple : la personne humaine se compose d’un corps physique et d’une conscience. Au moment de la mort, le corps se sépare de la conscience. Le corps se dégrade et  vient, comme le dit Baudelaire, «  rendre au centuple à la grande Nature
Tout ce qu'ensemble elle avait joint② *», t
andis que l’esprit demeure et vient s’unir à un nouveau corps.

Le terme réincarnation n’est pas vraiment approprié car l’esprit ne vient pas nécessairement s’associer à un corps fait de chair (du latin caro), perceptible par nos cinq sens. Il existe, en effet, différents modes d’existence, dont certains, tels que les êtres humains et les animaux, possèdent un corps physique, tandis que d’autres, tels que les êtres infernaux et les esprits avides, n’en possèdent pas.

Le terme de transmigration est plus approprié car il englobe un champ plus vaste : il indique simplement que quelque chose passe d’une existence à l’autre, sans toutefois préciser si ce « quelque chose » s’associe à un corps matériel, ou bien à un corps plus subtil. Cependant, comme le terme de réincarnation est celui qui nous est le plus familier, pour éviter toute préciosité, nous le retiendrons ici.

Il existe différentes conceptions de la réincarnation dont rendent compte plusieurs traditions spirituelles. La première distinction porte sur ce qui se réincarne : les adeptes de l’hindouisme considèrent qu’il s’agit de l’âme (atman en sanskrit), tandis que le bouddhisme parle du continuum mental.

Examinons brièvement ces deux points de vue.

·         La conception hindouiste


La conception hindouiste de la réincarnation est exposée de façon synthétique dans un extrait du Mahabharata, la Bhagavad Gitâ, récit psalmodié journellement par des millions d’Indiens, texte aussi sacré au cœur des Hindous que les Evangiles le sont pour les Chrétiens. Dans ce texte, l’enseignement que va dispenser Krishna prend place dans un contexte dramatique qui touche chacun de nous au plus profond. Compte tenu de son caractère poignant, universel et déterminant, il convient de le rappeler ici à grands traits.
Bhagavad Gîta : Arjuna et Krishna sur le champ de bataille
 
Un combat se prépare à Kurukshétra entre deux clans, les Pandavas et les Kauravas, tous deux issus d’une même famille. Un des Pandavas, le prince Arjuna, s’apprête à livrer bataille sur son char, mais il est soudain pris d’une angoisse qui le paralyse.  «  O Krishna, quand je vois les miens désireux de combattre, préparés, mes membres défaillent, ma bouche se dessèche, le frisson s’empare de mon corps, mes poils se hérissent, mon arc Gâdhîva me tombe des mains, ma peau est brulante, je ne puis tenir debout et mon esprit semble pris de vertige » (I, 28-29-30). Un psychiatre moderne trouverait sans doute dans ces vers une description précise d’une attaque de panique.

Arjuna ne tremble pas pour sa propre vie qui est en danger, mais pour celle d’êtres aimés, membres de sa famille.  « Et le fils de Partha , debout, vit dans les deux armées adverses, ses père, grand-père, maitres, oncles maternels, frères, fils, petits fils ou compagnons, beaux-frères et amis »( I, 26-27)

Il est ainsi animé d’une compassion intense et qualifie de crime intolérable cette guerre contre les membres de sa propre famille. Mu par la non-violence, il refuse donc de combattre, même si les membres du camp adverse le provoquent, préférant ainsi subir une injustice plutôt que d’en commettre une. «  Ceux-là, ô destructeur de Madhu, même s’ils me frappent, je ne désire pas les frapper, fut-ce pour la royauté des trois mondes, encore bien moins pour celle de la seule terre » (I, 35)

Arjuna dénonce un acte injustifiable à ses yeux, fondé au surplus sur de vils motifs. «  Hélas ! Malheur ! Nous étions déterminés à commettre un grand crime puisque, convoitant la royauté et le plaisir, nous nous apprêtions à tuer les nôtres » (I, 45)

Entendant ce discours d’Arjuna, Krishna, son conducteur de char, va alors lui répondre fermement. A travers ce Chant du Seigneur Bienheureux ,  Krishna révèle sa véritable nature : il est la manifestation du grand dieu Vishnou, celui qui préserve l’ordre de l’univers. Krishna expose ainsi les éléments de la sagesse du brahmanisme : Arjuna craignait de commettre un crime, mais, en réalité, il ne va tuer personne. « En vérité, jamais ne fut le temps où je n’étais pas, ni toi, ni ces chefs de peuples ; et plus tard, ne viendra pas celui où nous ne serons pas » (II, 12)

Le corps seul disparait au moment de la mort, mais l’âme, non née, ne meurt pas. « Le non-être n’accède pas à l’existence, l’être ne cesse pas d’exister ». (I, 16) « Ces corps ont une fin ; l’esprit qui s’y incarne est éternel, indestructible, incommensurable ». (II, 18) « A la façon d’un homme qui a rejeté des vêtements usagés et en prend d’autres, neufs, l’âme incarnée, rejetant son corps usé, voyage dans d’autres qui sont neufs » (II, 22)

Krishna définit alors les caractéristiques de l’âme. « Elle ne peut être ni coupée, ni brulée, ni mouillée, ni desséchée ; nécessaire, omniprésente, stable, inébranlable, elle est éternelle » (II, 24)  « Ces corps ont une fin ; l’esprit qui s’y incarne est éternel, indestructible, incommensurable. Voilà ce qu’on proclame. C’est pourquoi combats, Fils de Bharata. » (II, 18)

Krishna enjoint ainsi à Arjuna de livrer bataille car tel est son devoir, en raison de son appartenance à la caste des guerriers, les Kshatriyas.

Ainsi, dans la conception hindouiste, c’est l’atman (âme) qui se réincarne. Niant l’existence de l’âme, le bouddhisme parle, lui, d’un continuum de conscience.

·         La conception bouddhiste


Un autre courant de pensée issu de l’Inde, le bouddhisme, enseigne que ce qui transmigre est un continuum, une succession d’instants de conscience.

L’argumentation  de base est la suivante.

En observant la nature, on constate que tout phénomène résulte nécessairement d’une pluralité de  causes et de conditions. Ainsi, un chêne ne peut exister que si un gland a été mis préalablement dans une terre suffisamment fertile et a reçu l’ensoleillement et la quantité de pluie appropriés.

La relation qui unit un phénomène et sa cause est particulière : la cause et la conséquence sont nécessairement consubstantielles, c’est-à-dire de nature identique. Ainsi un chêne ne pourra jamais procéder d’un noyau de pêche, de prune, ou d’un pépin de raisin : seul un gland sera à son origine.

Tous les phénomènes , sans aucune exception, obéissent à un tel principe, y compris les phénomènes mentaux. Ainsi,  l’instant de conscience que j’expérimente en ce moment trouve son origine dans l’instant de conscience qui l’a immédiatement précédé, lui-même découlant de l’instant de conscience immédiatement antérieur, et ainsi de suite. Je peux donc remonter, en toute logique, une seconde en arrière ;  puis tout aussi logiquement, une minute, une heure, une journée, un mois, une vie même en arrière. Si je suis cohérent, je dois également reconnaitre qu’au sortir du ventre de ma mère, l’instant de conscience que j’expérimentais alors, en ouvrant les yeux, tirait son origine de l’instant immédiatement antérieur. Et je remonte ainsi tout le cours de ma vie intra-utérine.

Sans lâcher le fil d’Ariane de mon raisonnement, je considère alors qu’au moment où l’ovule et le spermatozoïde, issus du corps de mes parents, se sont rencontrés, cette union a été à l’origine de la première division cellulaire qui a ensuite créé mon corps physique actuel. Mais l’instant de conscience que j’expérimentais alors ne pouvait trouver son origine que dans l’instant de conscience immédiatement précédent. Et je remonte ainsi à ma vie antérieure, et ainsi de suite, vie après vie. Ainsi d’une vie à l’autre, le corps change, mais le continuum de conscience demeure. En toute bonne logique, il n’y a ainsi pas de commencement à la conscience : je reprends naissance depuis des temps sans commencement.

A un moment donné, conscient de cette situation, lassé d’expérimenter la souffrance, je décide de m’engager fermement dans la voie qui mène à la Libération du cycle des existences.

Telle est, brossée à grands traits, notre condition humaine selon le bouddhisme.

Une telle conception est proprement vertigineuse. Elle n’en n’est pas moins d’une rigueur logique implacable.

Nous avons ainsi rappelé les bases sur lesquelles la discussion relative à la théorie de la réincarnation peut maintenant s’engager.

La réincarnation n’est pas qu’une question de croyance, de déterminisme culturel, ou plus simplement encore de gout. C’est une conception solide, argumentée, rationnelle, basée sur des principes rigoureux.

Comme toute théorie, elle a ses détracteurs, et c’est bien légitime : ce dialogue est le signe d’une vie de l’esprit,  un mouvement de l’intelligence humaine. Examinons donc, afin de nous faire une idée plus assurée, et peut être même nous forger une conviction, les arguments présentés en faveur et en défaveur de la réincarnation.

II Pro et contra


Commençons par examiner la validité des arguments hostiles à la réincarnation.

21. Les arguments opposés à la réincarnation


On peut en identifier facilement trois.

211 L’argument d’autorité


Un tel argument consiste à adopter un certain point de vue, simplement parce qu’une autre personne, jugée supérieure à soi, l’a exposé. Il s’agit d’une soumission à l’avis d’autrui qui se résume ainsi : «  Je récuse la notion de réincarnation parce que telle personne affirme qu’elle n’existe pas. »

Dans la mesure où le catholicisme demeure la religion dominante en France,  et que son influence sur le plan des idées a été déterminante depuis plusieurs siècles, nous présenterons ici son point de vue sur la réincarnation, même si l’attitude d’autres courants de pensée mériterait incontestablement d’être aussi relevée.

Le catholicisme récuse la notion de réincarnation. Il se fonde pour cela sur une proposition incise de l’Epitre aux Romains, (chapitre 9, 27), dont l’auteur reste anonyme* : «  Et comme les hommes ne meurent qu’une fois, après quoi il y a le jugement, »

Les textes officiels actuels qui exposent la doctrine de l’Eglise, à savoir  La constitution dogmatique sur l’Eglise, Lumen Gentium, et Le Catéchisme de l’Eglise catholique, se réfèrent uniquement à cette affirmation lapidaire de l’Epitre aux Hébreux pour justifier le rejet de la réincarnation. Ainsi, aucun argument rationnel ne fonde-t-il cette thèse. Tel est le dogme énoncé par l’Eglise sur cette question.

Nous relèverons, par ailleurs, et c’est essentiel, qu’à aucun moment le Christ ne se prononce dans les Evangiles, ni en faveur, ni à l’encontre de la réincarnation. Il ne dit simplement rien sur ce sujet.

212 L’argument tiré de l’expérience


Prenant maintenant appui sur son expérience individuelle, une  personne peut nier la réalité de la réincarnation. Cet argument peut s’exprimer ainsi : « La réincarnation n’existe pas car je n’en ai aucune perception : je ne me souviens d’aucune vie antérieure ». C’est là un sentiment général. Cela suffit-il pour autant à forger une conviction ?

Une réponse de bon sens peut aisément être apportée à cet argument : « ce n’est pas parce qu’on n’a pas la perception d’un phénomène, qu’un tel  phénomène n’existe pas ». Un aveugle qui nierait l’existence du soleil, au prétexte qu’il ne le voit pas, ne convaincrait que peu de personnes, sauf d’autres aveugles, bien entendu.

Un phénomène peut ne pas être perçu par nos sens parce qu’il est trop proche, ou trop lointain, ou trop subtil. Le progrès technologique a ainsi permis la fabrication d’un télescope tel que Hubble,  suffisamment  puissant pour observer de lointaines galaxies que l’on n’identifiait pas il y a trente ans. Elles n’en existaient pas moins pour autant à cette époque. De la même façon, la fabrication de microscopes au XIXème siècle n’a pas « inventé » les microbes, mais a seulement permis leur observation.

Examinons donc maintenant le troisième type de raison.

213 la mise en doute des capacités intellectuelles : malhonnêteté et dérangement mental


Un autre argument tenu à l’encontre de la réincarnation consiste à décrédibiliser celles et ceux qui reconnaissent son existence. Un tel argument peut s’exprimer ainsi : « Ceux qui prétendent que la réincarnation existe sont des charlatans ou des fous. » Faute d’atteindre le contenu du message, il s’agit alors de récuser le messager.

·         Tromperie

La malhonnêteté consisterait à affirmer l’existence de la réincarnation, alors qu’on saurait pertinemment qu’un tel phénomène est dépourvu d’existence. 

A cette accusation il peut être répondu qu’une personne qui s’efforce de tromper autrui cherche, par ce biais, à obtenir un avantage qu’elle n’obtiendrait pas autrement. Le trompeur manipule autrui pour obtenir de l’argent, du pouvoir, des faveurs, ou simplement attirer l’attention sur soi, gagner une forme de célébrité.

Comment lever un tel doute concernant les qualités morales du locuteur ? Prendre le temps d’examiner longtemps, et en profondeur, son comportement quotidien. Seulement ainsi s’apercevra-t-on qu’il ne cherche nullement à nous tromper.

·         Trouble mental

Le dérangement mental invoqué consisterait à s’illusionner soi-même, en toute bonne foi, parce que les capacités intellectuelles de la personne sont altérées.

A cette accusation, il pourra être répondu par l’avis d’un psychiatre : cet expert attestera que la personne qui affirme l’existence de la réincarnation ne présente aucun trouble mental.

Voici les arguments traditionnellement opposés à la théorie de  la réincarnation. Nous espérons les avoir exposés honnêtement afin que chacun puisse se faire une juste opinion de leur valeur.

Examinons maintenant les arguments exposés en faveur de la réincarnation.

 

22 Les arguments en faveur de la réincarnation


Là encore, plusieurs arguments peuvent être avancés.

 

221 Une croyance fondée sur une théorie cohérente


La connaissance des vies antérieures fait partie des capacités développées par les Yogis. Ce « pouvoir » (siddha) découle d’une maitrise de la concentration. Patanjali l’a d’ailleurs énoncé très clairement autour du IVe siècle ap. JC dans les Yoga Sutra : « En amenant les tendances innées (à la surface de la conscience), (on acquiert) la connaissance des vies passées » (YS III, 18)

Pour Patanjali, nos actes laissent une empreinte dans notre esprit. Ces dépôts se trouvent engrangés dans le psychisme et donnent ainsi  des tendances innées (samskara) qui colorent la personnalité de chacun. Grâce à des niveaux très profonds d’absorption méditative, le Yogi peut percevoir ces tendances et, dans la mesure où ces dernières constituent des empreintes du passé, il peut le remonter et connaitre ses vies antérieures.

On trouve des maitres faisant état d’une telle connaissance dans des traditions spirituelles diverses : hindouisme, jaïnisme et bouddhisme. Ceci n’a rien d’étonnant : ces courants de pensée recourent à des exercices yoguiques comparables, à la mise en œuvre de pratiques méditatives intenses et partagent la même croyance en la réincarnation.

Dans la mesure où le yoga constitue fondamentalement une discipline pratique, nous renvoyons l’étude approfondie de la pensée hindoue, jaïne ou bouddhiste à des centres spécialement dédiés à ces enseignements.

A de ce premier argument favorable à la réincarnation, relatif à la cohérence intellectuelle, s’en ajoute un deuxième qui porte sur les expériences faites par certaines personnes.    

 

222 Les témoignages qui attestent l’existence de la réincarnation


Deux types de témoignages valides existent à propos de la réincarnation : ceux relatés par des êtres ordinaires et ceux effectués par des êtres ayant développé de très grandes capacités mentales.

2221 les témoignages d’êtres ordinaires

L’importance de ces témoignages, et du travail qui a été mené récemment autour d’eux, notamment par J-P. Schnetzler, est capitale puisqu’elle a fait sortir la réincarnation du domaine de l’ésotérisme, de la foi ou du merveilleux  poétique, pour entrer dans le champ des sciences humaines.

Ian Stevenson,  psychiatre canadien, professeur à l’université de Virginie, a consacré trente années de sa vie à recueillir 2600 témoignages d’enfants attestant l’existence de la réincarnation. Se livrant à la vérification détaillée des propos qui lui étaient relatés, Stevenson a publié 64 cas particulièrement étayés. Vingt sont accessibles en langue française depuis 2007*.

Stevenson a entrepris ses recherches dans plusieurs pays, ceux où la fréquence de tels témoignages est relativement importante : Inde, Sri Lanka, Thaïlande, Birmanie et Liban. Au Liban, où la population musulmane druze ne rejette pas la théorie de la réincarnation, la fréquence du souvenir d’une vie antérieure y atteint son apogée : 1 cas sur 500 enfants nés.

Les recherches portent sur des témoignages de très jeunes enfants (entre 2 et 4 ans) car de tels souvenirs s’effacent rapidement, surtout s’ils font l’objet d’une désapprobation familiale ou sociale. Par ailleurs, pour procéder à la vérification de ces témoignages, il est plus facile de remonter de quelques années en arrière, plutôt que de quelques décennies !

Ces enfants, hormis les propos dérangeants qu’ils tiennent, ne présentent pas de caractéristiques particulières : ni intelligence précoce, ni « pouvoir » spécial, tel qu’intuition, préscience, clairaudition, clairvoyance, capacité à léviter … Ce sont en tous points des êtres ordinaires.

De leur vie passée, pas d’évènement notable à citer, hormis le fait que dans 61 % des cas observés par Stevenson, ces existences s’achevèrent de façon violente : accident, suicide ou meurtre. De telles circonstances dramatiques, l’impossibilité de vivre la vieillesse qui permet de prendre de la distance par rapport à la vie présente, pourraient expliquer le très fort attachement de ces êtres à leur vie antérieure, d’où le souvenir de cette existence passée qui subsisterait dans l’existence présente.

Pour donner une idée d’un exemple-type de ces récits, tel enfant prétend s’appeler « en réalité » autrement que le nom que ses parents viennent de lui donner. Il affirme être marié avec telle personne, avoir lui-même des enfants portant tels prénoms, exercer tel métier.  Si l’enfant répète ce propos avec suffisamment d’insistance, si ses parents ne le rabrouent pas trop, et s’ils ont même la patience de se déplacer au village indiqué, parfois éloigné, ils peuvent alors avoir quelques surprises : oui, dans ce village, a bien vécu un homme qui portait le nom cité par l’enfant, mari de telle femme, père de tels enfants, mort de façon brutale à telle période. Il arrive même que l’enfant actuel  reconnaisse sa femme, ses enfants, des objets lui ayant appartenu dans son existence  précédente, voire même livre un détail troublant : telle somme d’argent qu’il avait cachée sous le parquet dans sa vie antérieure  s’y trouve effectivement encore si on soulève la latte…

Les travaux de Stevenson ont placé réincarnation dans le champ d’étude de la science. Si on ne trouve pas en eux une preuve irréfutable de la réincarnation, de tels travaux ébranlent néanmoins fortement les certitudes hostiles à la transmigration, celles fondées sur le seul dogme, qui dans l’histoire humaine a toujours servi l’obscurantisme.

2222 Le mode de détection de certains maitres 

Nous avons déjà souligné que les réminiscences de vies antérieures sont des phénomènes reconnues  dans les milieux imprégnés des traditions hindoue, jaïne ou bouddhiste.

Il existe toutefois une spécificité remarquable - à notre connaissance unique - dans le bouddhisme tibétain quant à l’utilisation qui est faite de la réincarnation : la révélation de souvenirs de la vie immédiatement antérieure joue un rôle déterminant dans la détection des maitres qui sont appelés à guider les autres êtres et à assurer de hautes responsabilités, telles que la direction de monastères.

De tels êtres, appelés tulkous, sont délivrés du cycle des renaissances. Par pure compassion, ils décident néanmoins de revenir sur terre pour nous permettre d’avancer sur le chemin de la Libération.

La procédure qui permet de détecter de tels êtres comprend le recueil de différents « signes » qui ne peuvent être perçus et compris que par des personnes disposant elles-mêmes de capacités élevées. Ainsi, seul un être à l’esprit pur peut reconnaitre un autre esprit lui-même dépourvu de toute souillure.

Mais le mode de sélection comprend aussi la collecte de données objectives qui peuvent donc être acceptées par tout un chacun. Certains maîtres donnent ainsi, de leur vivant, des indications écrites ou orales sur le lieu de leur renaissance, voire sur leur future famille. Mais l’épreuve la plus convaincante porte sur la reconnaissance d’objets. Le film Kundun de Martin Scorsese, a très bien montré cette phase de la procédure : sur une table, différents objets personnels ayant appartenu au XIIIe Dalaï Lama se trouvent posés, mélangés à d’autres, étrangers: plusieurs paires de lunettes, différentes canes, rosaires, cloches, tambours, sont ainsi proposés à l’enfant. Et celui-ci choisit sans se tromper les différents objets de sa précédente incarnation. Il a une connaissance directe qui ne passe pas par le raisonnement.

Comme nous l’avons indiqué, les critères objectifs ne sont pas les seuls pris en compte dans ce mode de détection : le ressenti particulier que perçoivent les Lamas qui approchent l’enfant, le charisme qui se dégage de lui, sa maturité étonnante,  les visions du Régent Réting, ne sont pas des données mesurables, quantifiables. Ces éléments sensibles sont pourtant déterminants pour parvenir à la certitude d’avoir découvert le bon enfant.

Aux esprits matérialistes, ou sceptiques, on pourra avancer un argument de bon sens : ce mode de recrutement des élites, si original, s’avère finalement très performant. Il semble même bien  valoir le nôtre fondé sur la compétition et l’accès aux Grandes Ecoles parisiennes. Compte tenu des capacités intellectuelles hors du commun manifestées par les êtres qui sont ainsi détectés, de l’ampleur de la tâche qu’ils accomplissent quotidiennement (enseignement, direction de structures), pour se limiter aux seules données aisément quantifiables, il est certain que ces personnes disposent à la naissance de capacités hors du commun. Qu’un petit paysan, issu de la province pauvre de l’Amdo, soit devenu chef d’Etat, prix Nobel de la Paix, autorité morale internationalement reconnue, voilà bien une prouesse d’un mode de recrutement et d’un système éducatif qui mériterait d’être étudié !

Pour rester sur le plan uniquement rationnel, on peut estimer que si le résultat d’un processus apparait excellent, les bases sur lesquelles un tel système est conçu ne sont peut-être pas dépourvues de valeur ?

Conclusion


Notre objectif ici n’est pas de démontrer l’existence de la réincarnation, mais simplement d’apporter des éléments qui puissent éclairer une réflexion libre et sereine. Tous les points de vue – arguments, contre-arguments - méritent d’être examinés avec attention. Sans un tel effort d’analyse nous ne saurions avoir qu’un vague avis, qu’un autre avis, non moins vague, viendrait aisément remplacer.

Certains retrouveront peut-être espoir, soulagement, ou courage pour affronter les inévitables épreuves de la vie. Je le souhaite du fond du cœur : c’est à eux que cet article est dédié. Puissent-ils trouver un peu de lumière et de réconfort dans ces lignes et qu’ils sachent qu’une voie de Libération existe, éloignée autant du néant matérialiste que du dogmatisme obscurantiste.

Christian Ledain

Notes :


* Pascal, Pensées, Commencement, 154, Le Guern, édition de la Pléiade)

* Baudelaire, Une charogne, Spleen et Idéal, Les Fleurs du Mal

③ Traduction française du groupe nominal Bhagavad Gitâ

L’épitre aux Hébreux a été pendant très longtemps attribuée à Saint Paul de Tarse. Elle se trouve ainsi traditionnellement placée dans le Nouveau Testament après les lettres écrites par cet auteur. Cependant, cette attribution est maintenant mise en doute car, comme l’affirme Jean Grosjean dans sa notice introductive (Nouveau Testament, Epitre aux Hébreux, Notice, p.755, édition de la Pleiade, 1971) : « elle a une parenté de pensée mais non de style » avec les épitres de Paul.  « On songerait plutôt maintenant à Apollos ».

* Rédigée dans le cadre du concile de Vatican II, le texte Lumen Gentium (1964) fixe La constitution dogmatique sur l’Eglise. Le chapitre VII, 48, sur le Caractère eschatologique de la vocation chrétienne reprend les termes de l’Epitre aux Hébreux : « Ignorants du jour et de l’heure, il faut que, suivant l’avertissement du Seigneur, nous restions constamment vigilants pour pouvoir, quand s’achèvera le cours unique de notre vie terrestre (cf. He 9, 27), être admis avec lui aux noces et comptés parmi les bénis de Dieu (cf. Mt 25, 31-46), au lieu d’être, comme les mauvais et les paresseux serviteurs (cf. Mt 25, 26) écartés par l’ordre de Dieu vers le feu éternel (cf. Mt 25, 41), vers ces ténèbres du dehors où « seront les pleurs et les grincements de dents » (Mt 22, 13 ; 25, 30). » 

*  Le Catéchisme de l’Eglise catholique, publié en 1992, expose de façon concise la foi, le dogme et les règles morales de l’Eglise. A propos de la réincarnation il renvoie à l’Epitre aux Hébreux et à Lumen Gentium : «    1013   Quand a pris fin « l’unique cours de notre vie terrestre » (LG 48), nous ne reviendrons plus à d’autres vies terrestres. « Les hommes ne meurent qu’une fois » (He9, 27). Il n’y a pas de réincarnation après la mort. »

 


*  Traduction de l’aphorisme 18, du cahapitre , III Des Résultats, des Yoga Sutra de Patanjali :  « Samskâra-sâshâtkaranât pûrva-jâtijnanam » 

Schnetzler Jean-Pierre « De la mort à la vie » Transmigration et Réincarnation, Faits et théories, Editions Dervy,2000

⑨*Stevenson Ian, «  20 cas suggérant le phénomène de réincarnation », Poche, collection J’ai Lu, 2007

Bibliographie :


Barou jean-pierre et Crossman Sylvie, « Tibet, une histoire de la conscience », Seuil, 2010

Le Catéchisme de l’Eglise catholique, publié en 1992, disponible sur internet

Dalaï Lama, « Ma terre et mon peuple » (trad. Yves Massip), Paris, éditions John Didier, 1963

« Epitre aux Hébreux », Nouveau Testament, Notice Jean Grosjean, Pleiade, 1971

Stevenson Ian, «  20 cas suggérant le phénomène de réincarnation », Poche, collection J’ai Lu, 2007


 

« La Bhagavad Gîta », trad A-M. Esnoul et O. Lacombe, Le Seuil, Points Sagesses, 1976

Lumen Gentium, La constitution dogmatique sur l’Eglise  (1964), disponible sur internet                         

Pascal Blaise, Pensées, Le Guern, édition de la Pléiade

Phan-Chon-Tôn, « Le Yoga de Patanjali », Ed. Adyar, coll. Hindouisme, 2000

Schnetzler Jean-Pierre « De la mort à la vie » Transmigration et Réincarnation, Faits et théories, Editions Dervy,2000

 Filmographie :


Kundun, de Martin Scorsese  (1997)