Méditation sur les grands éléments et bases de la médecine traditionnelle

 

Le Yoga est une discipline qui a émergé en Inde durant l’Antiquité. S’il est juste de croire que des Rishis, des sages, ont eu une perception directe du Yoga, et ont ensuite enseigné à partir de leur connaissance, il est tout autant certain que cette discipline s’est élaborée en relation étroite avec les conceptions scientifiques qui se développaient alors sur le sous-continent indien: astronomie, mathématique, psychologie, médecine (cf. notre article Les bases rationnelles du Yoga) .

La médecine traditionnelle indienne, l’Ayurvéda, repose sur un principe fondamental qui concerne   tous les phénomènes physiques observables : tout ce qui est matériel résulte de la combinaison de cinq grands éléments : terre, eau, feu, air, espace.  Une telle loi régit non seulement le fonctionnement du corps humain (microcosme), mais aussi le fonctionnement de l’univers entier (macrocosme).

Lorsque ces grands éléments se manifestent de façon proportionnée, règne alors l’harmonie. Un tel équilibre constitue alors l’expression de l’ordre cosmique (rita, en sanskrit), notion cardinale de la pensée indienne traditionnelle. Dès lors, dans tous ses domaines d’activité, l’être humain doit chercher à protéger cet ordre quand il se manifeste, ou à le rétablir s’il est rompu. La recherche constante de cette harmonie donne ainsi une orientation à l’ensemble des activités humaines : philosophie, art, science, mais aussi au comportement individuel de chacun.

En médecine, un tel ordre se traduit par un excellent état de santé physique et une grande tranquillité d’esprit.  A l’extérieur de soi, cet équilibre se manifeste par une grande harmonie qui nous procure un sentiment esthétique intense. Ainsi, tout être humain ressent spontanément la beauté d’un paysage qui combine de façon proportionnée les grands  éléments. Allongé sur une plage couverte de sable fin (élément terre), à côté d’une mer calme (élément eau), placé sous les rayons d’un soleil resplendissant (élément feu), tandis qu’une brise légère (élément air) passe, tout être humain ressent instantanément une sensation d’ouverture, d’expansion, de détente car cela correspond à la nature des choses.

Lorsque cet équilibre entre les différents éléments se trouve rompu, soit par excès, soit par insuffisance, alors s’exprime le désordre. Dans la nature, cette rupture se traduit pas des catastrophes telles qu’ouragans (excès d’air), glissements de terrain ou tremblements de terre (déséquilibre de l’élément terre), sécheresse (carence en eau), incendies ravageurs (excès de feu). Face à de tels événements, immédiatement, le malaise et l’effroi nous saisissent.

Dans notre corps, un déséquilibre persistant des grands éléments fera inéluctablement apparaitre un problème de santé.

Par définition, la discipline du Yoga, dont le nom sanskrit signifie « union », va permettre de préserver ou de rétablir l’harmonie, et donc  un excellent état de santé.

Que nous nous portions donc comme un charme, ou que nous soyons malade, nous avons grand intérêt à pratiquer dès à présent le Yoga avec enthousiasme.

Avant d’exposer une méditation particulière sur les quatre grands éléments, il importe de donner plus de précisions sur l’origine des troubles de santé.


1. L’origine des troubles de santé

Pour les Yogis, un excellent état de santé va découler de la conjonction de deux types de phénomènes : des causes lointaines et des causes proches.

Les causes distantes sont constituées par les actions antérieures que nous avons accomplies. Selon la théorie du karma, chacun de nos actes  laisse nécessairement une trace, une empreinte dans notre esprit. Après un temps de latence plus ou moins long, le résultat de cet acte arrive à maturité et nous fait alors expérimenter les conséquences de notre action. Certains actes, dits positifs, constituent ainsi des causes de bonheur ultérieur, tandis que d’autres, qualifiés de négatifs, généreront inéluctablement de la souffrance.  Ainsi, avoir nui antérieurement à la santé d’autres êtres nous conduira à faire l’expérience d’une santé précaire.   Voilà pourquoi les Yogis s’efforcent de respecter une excellente éthique, de développer l’amour, l’altruisme, la véracité et d’autres vertus excellentes exposées  dans les deux premières phases du Yoga (Yama et Niyama).

A ces causes lointaines, s’ajoutent des causes proches, lesquelles sont de deux sortes : l’équilibre des souffles subtils et l’harmonie des grands éléments dans le corps. Ainsi un excellent état de santé découlera de l’adoption d’attitudes corporelles remarquables (appelées asanas, postures), accompagnées d’une régulation des souffles énergétiques (dont la maitrise est appelée Pranayama), associée  à une bonne concentration (Dharana, en sanskrit).

En parallèle, l’adepte du Yoga veillera à préserver dans son corps l’équilibre des grands éléments.

Pour bien comprendre l’importance de la méditation qui va suivre et les raisons de son efficacité, il est maintenant nécessaire de bien connaitre le rôle joué par chacun de ces éléments et d’en préciser  les caractéristiques distinctives.


2. fonctions et caractéristiques des grands éléments

Les grands éléments sont au nombre de cinq : terre, eau, feu, air et espace. Cependant, dans la mesure où l’espace a pour fonction de permettre la manifestation des autres éléments, la méditation que nous effectuerons portera uniquement sur ces derniers.

  • ·         La terre

Dans le monde physique, l’élément terre est ce qui assure la structure. Au sein de notre corps, cet élément se manifeste donc de façon prépondérante dans les os et les muscles. La couleur qui lui est associée est le jaune.

Il est possible que cet élément terre soit déficient. Dans ce cas, la personne dispose d’une complexion physique fragile. Son corps apparait frêle, diaphane, ne manifeste pas une réelle présence. 

  • ·         L’eau

De son côté, l’élément eau assure la cohésion, il permet à des éléments disparates de constituer un ensemble cohérent. Pour mieux comprendre cette fonction fondamentale il suffit de se remémorer une expérience que nous avons tous faite : sur une plage, quand nous prenons du sable bien sec, il nous glisse entre les doigts et  ces particules ne peuvent finalement former qu’un tas informe. Par contre, si nous versons de l’eau sur ce sable, ces grains tiennent alors ensemble et nous pouvons construire de beaux châteaux aux formes très variées.

L’élément eau est particulièrement présent dans les liquides qui circulent dans notre corps, tels que le sang, la lymphe, l’urine. La couleur correspondante est le vert.

Il est possible que cet élément soit présent de manière excessive. Il en est ainsi, par exemple, en cas de  surcharge pondérale, d’excès de graisse, que la médecine ayurvédique associe à un surplus  d’élément eau. Mais  inversement, une personne qui présente un corps maigre, sec, anguleux,   dépourvu de la réserve énergétique que constitue la graisse, ne manifestera pas non plus l’harmonie.

  • ·         Le feu

L’élément feu a pour mission d’assurer le murissement. Ainsi, une prune encore verte, située sur la branche d’un arbre, va murir sous l’effet des rayons du soleil et donnera un fruit savoureux.

Cette fonction se décline de deux façons dans le corps humain. Tout d’abord, le feu assure une bonne température corporelle, bien répartie. Ainsi, un déficit de l’élément feu conduira une personne à ressentir très facilement le froid, et donc à empiler vêtements et couvertures. Ou bien, cette personne se plaindra d’une fraicheur persistante aux extrémités de son corps, orteils et doigts des mains. A l’inverse, un excès de feu favorisera l’apparition de fièvres. Ou bien encore, lors de la ménopause, des bouffées de chaleur gêneront temporairement les femmes. Heureusement, de tels déséquilibres pourront être atténués considérablement par la méditation sur les grands éléments.

Une autre tâche assurée par le feu  dans le corps humain est la digestion des aliments. Si ce feu digestif manque de puissance, la personne aura alors du mal à assimiler les nutriments. Nous connaissons tous dans notre entourage des personnes qui ont une capacité digestive étonnante, au point qu’elles semblent prêtes à digérer des pierres. Trois heures après un repas copieux, elles sont disposées à repasser à table, alors que d’autres personnes, à l’estomac plus fragile, devront prendre de petites quantités de nourriture, veiller à sélectionner rigoureusement leurs aliments, et ressentiront une nette fatigue après le repas au point de devoir faire la sieste. Notre type de personnalité, notre humeur dominante au sens de la médecine traditionnelle indienne ne nous rendent pas égaux à table! Heureusement, là encore, l’exercice que nous allons présenter pourra  corriger de tels déséquilibres.

  • ·         L’air

Dans notre corps, cet élément désigne non seulement  le souffle dit grossier qui assure la respiration - l’alternance de l’inspiration et de l’expiration - , mais aussi les souffles dits subtils, c’est-à-dire les différents courants énergétiques qui parcourent notre corps et que maitrisent les Yogis.

De façon générale, l’élément air régit le mouvement. Ces souffles grossiers et subtils prennent donc en charge non seulement le déplacement de notre corps, mais aussi la circulation des fluides, et encore la vivacité de notre esprit.

Plusieurs dysfonctionnements de l’élément air peuvent se manifester. Le premier, auquel on pense immédiatement, a trait aux problèmes respiratoires, dont l’asthme.

Par ailleurs, une difficulté à se mouvoir, à mobiliser ses membres, ou à marcher, traduira une carence de l’élément air, notamment celle du « souffle omniprésent » (Samana Vayu).  Inversement, l’agitation intempestive du corps d’une personne, dont on dit  « qu’elle ne tient pas en place », ou qu’elle est hyperactive, correspondra à un excès de l’élément air.

Les mouvements dans le corps, les battements cardiaques, mais aussi la circulation des fluides (sang, lymphe, urine) relèvent de l’élément air. Un transit intestinal poussif pourra ainsi résulter d’une faiblesse du « souffle qui va vers le bas » (Apana Vayu).

L’agilité intellectuelle, la créativité, la capacité à élaborer des raisonnements logiques, tout ce mouvement de l’esprit est aussi en relation avec l’élément air. Ainsi une grande instabilité mentale, la difficulté à se concentrer, à demeurer l’esprit placé sur un support, l’anxiété, le stress, traduiront une mobilité excessive de l’élément air, notamment du « souffle ascendant » (Prana vayu). Inversement, une pesanteur de l’esprit, une difficulté à concevoir des raisonnements, révèleront une carence de l’élément air.

Comme on peut maintenant aisément le comprendre, de multiples raisons nous incitent à mettre en œuvre la méditation sur les grands éléments.


3.      La méditation
  • ·         Préalable

Comme toute pratique méditative correcte, il importe tout d’abord de placer le corps de façon appropriée et de générer une excellente motivation : s’aider soi-même et aider les autres êtres.

  • ·         Elaborer le support méditatif

Le principe de base sur lequel repose cette pratique est simple : il s’agit de créer dans l’esprit une image mentale harmonieuse et stable, dans laquelle les grands éléments sont en équilibre. Cette image mentale, associée à une confiance totale dans l’efficacité du Yoga et à une émotion puissante d’émerveillement, va produire de grands effets bénéfiques dans le corps, puisque celui-ci et l’esprit, en nature différents, sont très fortement reliés l’un à l’autre.

Votre visualisation doit ainsi être non seulement correcte, c’est-à-dire correspondre aux couleurs exactes des éléments, mais elle doit aussi vous procurer une émotion esthétique puissante. Cette pratique exige donc un investissement émotionnel intense.

Plusieurs types de composition mentales pourraient ainsi être élaborées, certaines prenant pour base une plage, d’autres un paysage montagnard, une plaine, ou encore une cascade…Mais il importe de ne pas se perdre : le but est de méditer, non de chercher à créer une oeuvre originale dont on pourrait s’enorgueillir. Que l’esprit se mette simplement en résonnance avec ce paysage, et le laisse infuser en lui ! Alors, l’harmonie du paysage imprégnant l’esprit, celui-ci pourra à son tour influer favorablement sur le corps, qui pourra ainsi manifester l’équilibre des grands éléments qui le compose.

Visualisez donc un beau paysage au centre duquel figure un lac de couleur verte, émeraude. Tout autour de lui s’étend une vaste surface de terre jaune, ocre. Dans un coin de ce paysage, un feu de bois flambe ; nullement un incendie, ce qui évoquerait la puissance dévastatrice de cet élément, mais un feu utile, bénéfique, servant à cuire la nourriture, ou à se réchauffer. Sur ce très beau paysage flotte un léger brouillard de couleur blanche, pure, comme si le soleil n’avait pas encore dissipé cette vapeur. Ressentez le bonheur de contempler ce paysage, si réel, si vivant à vos yeux. Cultivez cette émotion.

Maintenant, placez votre attention sur l’élément terre. A l’inspiration, puisez l’essence de l’élément terre, la très belle couleur jaune, comme si l’extrémité de vos narines était dotée de deux pailles. Vous voyez, vous sentez cette très belle couleur jaune vous remplir intérieurement. A l’expiration, vous exhalez un air grisâtre, une fumée, en pensant que vous évacuez toutes les maladies et causes de maladies. Vous le faites trois fois. Puis vous ressentez la joie d’avoir rétabli en vous l’harmonie de l’élément terre.

Vous passez ensuite à l’élément eau  et, comme précédemment, vous puisez l’essence de cet élément, la très belle couleur verte. Vous évacuez toujours à l’expiration la fumée noirâtre en pensant que vous chassez maladies et causes de maladies. Vous l’accomplissez trois fois tranquillement.

Ensuite , et de la même façon, puisez l’essence de  l’élément feu, la très belle couleur rouge…

Enfin, comme précédemment, rétablissez en vous l’équilibre de l’élément air, la très belle couleur blanche...

  • phase finale

Vous vous réjouissez alors d’avoir rétabli l’équilibre des grands éléments dans tout votre corps, sachant que c’est le gage d’une excellente santé. Vous pensez aux bienfaits qui vont advenir pour vous, mais aussi, indirectement, à travers vous, pour les autres êtres que vous allez pouvoir aider plus puissamment, peut-être simplement en étant plus disponibles pour eux.

4.  Commentaires

Certaines personnes pressées pourraient être tentées de « saucissonner » cette pratique pour ne se focaliser que sur un élément dont elles auraient perçu le déséquilibre dans leur corps. Mais un tel calcul serait mauvais, et ce pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, notre diagnostic pourrait bien être erroné : si nous identifions bien un déséquilibre spécifique, il est possible que nous en omettions un autre. Nous pourrions tout autant manquer de mesure, en exagérant, ou minimisant l’importance du dysfonctionnement constaté. Nous serions ainsi comme le cycliste maladroit qui, pour réparer une crevaison, malmène si bien la chambre à air que d’autres trous se forment et s’élargissent. Notre myopie nous condamnerait à passer interminablement d’un problème à l’autre, sans jamais expérimenter l’harmonie.  

De façon plus large, un tel esprit analytique, une telle volonté de découpage, méconnait le mode d’existence des phénomènes : rien n’existe de par soi, de façon isolée ; tout n’existe qu’en relation, en dépendance avec d’autres phénomènes. La discipline du Yoga consiste précisément à retrouver, à rétablir cette unité rompue.

Il est donc très important de bien comprendre le ressort de notre méditation : son efficacité se fonde sur notre capacité à créer quelque chose d’harmonieux avec notre esprit, puis à l’y stabiliser (ce qu’on appelle précisément méditer) au point d’en ressentir une merveilleuse émotion qui se diffusera partout en nous, au point de soigner notre corps.

Les personnes très occupées et très pressées, désireuses d’obtenir de grands résultats pour leur santé, pourront effectuer quotidiennement cette méditation, à raison de trois minutes par jour.

Une autre erreur à éviter consiste à changer, par convenance personnelle, l’architecture de la méditation. Ainsi, l’ordre de succession des différents éléments doit être respecté car il n’a rien d’artificiel. Il correspond à un ordonnancement naturel que l’on retrouve dans d’autres processus, tels que la formation du corps de l’embryon, ou la résorption des éléments au moment de la mort

Les couleurs associées aux éléments n’ont rien non plus d’arbitraire. Si telle personne, par fantaisie, gout de l’originalité, ou simple inconfort, trouve que la couleur verte, associée à l’eau, n’est pas adéquate, et que le bleu devrait  lui être substitué, elle se fourvoiera. En effet, le bleu est associé à l’espace. Il convient alors de comprendre que ce désir de changement n’est qu’une manifestation d’une perturbation de notre esprit dont il convient de se défaire. 

conclusion

Pour terminer, rappelons l’esprit général de cette pratique : cette méditation vise à amener d’abord l’équilibre des grands éléments en esprit, pour que cette harmonie puisse ensuite infuser et se manifester dans le corps.

Il est certain que la réalisation d’une seule méditation ne suffira pas à faire disparaitre un problème de santé installé depuis peut être plusieurs années. Mais il est certain que la pratique régulière de cette méditation, à raison de quelques minutes à chaque fois, contribuera puissamment à préserver un excellent état de santé existant, ou à le recrouvrer s’il se trouve actuellement compromis.

Christian Ledain

Professeur de la Fédération Française de Hatha Yoga