Makarasana est un nom générique attribué à tout un ensemble de
postures. Certaines sont adoptées en position à plat ventre, tandis que
d’autres sont réalisées allongé sur le dos. Ce sont ces dernières que nous
allons examiner ici.
Toutes les variantes prises sur
le dos présentent une caractéristique commune : une double torsion se trouve placée dans le bas du dos et
dans la région cervicale.
Trois raisons essentielles justifient
une étude détaillée de Makarasana. Son
caractère universel mérite tout d’abord d’être souligné : Makarasana est accessible à tous car
elle ne présente pas de difficulté technique ; aussi, même les personnes très âgées, ou celles dont la
mobilité est fortement réduite, pourront la mettre en œuvre. Elle est, en
outre, très stable et demande peu d’efforts physiques : adoptée sur le
dos, l’adepte n’a aucune difficulté à entrer dans cette posture et à la
conserver. Enfin, ses bienfaits sont immenses et très variés, comme nous le
verrons.
1·
Signification du nom
Makarasana est
souvent traduit par posture (asana)
du crocodile (Makara), ce qui est
très réducteur.
Toute posture dans le Hatha yoga
est fondamentalement sacrée en ce qu’elle nous permet de nous relier à
la dimension transcendante qui est en chacun de nous. Une telle perception pure
des phénomènes est au cœur même de la pratique du Yoga : l’adepte perçoit
la nature profonde des choses au-delà de leur apparence ordinaire. Dans le cas
de Makarasana, cette dimension sacrée
se trouve particulièrement soulignée. Makara constitue, en effet, le nom du
véhicule du dieu des eaux de l’Inde védique, Varuna .
Makara est aussi la monture de Ganga, tout à la fois déesse et
fleuve nourricier pour des centaines de millions d’habitants du Nord de
l’Inde.
La représentation formelle de Makara est très instructive. Le corps de ce monstre marin est constitué pour l’essentiel par celui d’un crocodile, mais une trompe d’éléphant vient terminer sa gueule. Cette forme hybride revêt une signification symbolique essentielle qu’il convient d’analyser.
Les travaux contemporains du
neurobiologiste Paul D. Mac Lean sur le cerveau « tri unique » de
l’homme nous donnent facilement accès à cette signification.
Pour Mac Lean, le cerveau
humain comprend trois composantes apparues successivement au cours de l'évolution. Ainsi, la zone la plus ancienne, appelée
cerveau reptilien, régit les fonctions élémentaires liées à la survie de l’espèce :
agressivité, sexualité, satisfaction de la faim et de la soif. Une région plus
récente, propre aux mammifères, assure l’épanouissement des émotions et
l’épanchement des liens affectifs. Enfin, une dernière composante de notre
cerveau, spécifiquement humaine, nous permet de déployer une pensée abstraite
et de comprendre le langage symbolique.
Dès lors, la signification de la
posture Makarasana devient très
claire. Grâce à sa maitrise du corps subtil, le Yogi va pouvoir éveiller
l’énergie vitale. Mais cette puissance qui, si elle n’était pas canalisée
pourrait être destructrice pour soi et pour autrui, va être transmuée en amour
altruiste inconditionnel, en sentiment de fraternité à l’égard de tous les
êtres. Une telle réalisation ne peut être atteinte que grâce à la compréhension
véritable de la posture.
Comment cette énergie vitale se
trouve-t-elle activée ? Comment le Yogi parvient-il à la transmuer en
puissance d’amour universel ? Les instructions relatives à la mise en
œuvre de Makarasana répondront à ces questions.
2. Technique
·
Principes
généraux
Les postures qui portent le nom de Makarasana présentent une série de caractéristiques
communes.
L’adepte est allongé sur le dos avec les bras placés en croix, bien tendus. Les paumes peuvent être tournées vers le sol ou vers le plafond.
L’adepte est allongé sur le dos avec les bras placés en croix, bien tendus. Les paumes peuvent être tournées vers le sol ou vers le plafond.
Le pratiquant installe
ensuite une double torsion, d’abord dans le bas de son dos, puis dans sa
région cervicale. Les
pieds sont toujours orientés dans le sens opposé à la tête : quand ils partent vers la droite, la tête se tourne vers la
gauche, et inversement.
Une rétention de souffle, poumons
pleins, se trouve aussi placée.
Durant la rétention de
souffle, le périnée est maintenu fermement contracté.
Il est tout à fait
possible de pratiquer les postures portant le nom de Makarasana de façon individualisée, isolée, mais il est aussi possible
de les associer dans une série, extrêmement puissante. Nous allons aborder cette seconde approche et détailler plusieurs postures remarquables.
21·
PREMIERE POSTURE
·
Placer le corps dans la position de départ
Allongé sur le dos, l’adepte plaque les deux pieds l’un
contre l’autre et veille à l’alignement exact de sa colonne vertébrale. Le bas
du dos est rapproché du sol et le menton se trouve abaissé afin d’estomper les
courbures de la colonne vertébrale.
·
les bras en croix
Les bras sont placés en croix, bien tendus.
Ce positionnement particulier des bras a pour effet de
plaquer le haut du tronc au sol : cette zone constitue ainsi le point
d’équilibre en-dessous et au-dessus duquel les deux torsions de la colonne vont
être placées de façon harmonieuse. Sans une telle disposition des bras, le bassin
risquerait de basculer brutalement d’un coté, sous l’effet de son poids,
endommageant ainsi les disques intervertébraux de la région lombaire. La
position des bras permet ainsi à l’adepte de mieux maitriser les mouvements de
son corps , et d' identifier et respecter ses limites pour une
pratique totalement sécurisée.
·
Le positionnement des pieds
On soulève le pied droit pour placer le talon droit sur le
gros orteil gauche.
·
Le placement de la double torsion
La décomposition méticuleuse de la posture est une des clefs
de ses bienfaits.
L’adepte inspire lentement en trois parties (abdomen,
thorax, épaules). Puis, il retient le souffle, les poumons pleins, sans forcer.
Comme la torsion va accentuer la pression à l’intérieur des poumons, il est
important de se sentir à l’aise lorsque les poumons sont remplis.
Le périnée se trouve alors vigoureusement contracté, comme
si on voulait le tirer vers le sommet du crâne.
Les pieds partent d’abord vers la droite, tandis qu’on sent
le bassin pivoter du même côté. Puis, le visage se tourne vers la gauche.
On marque alors un léger temps d’arrêt, en veillant à garder
bien ferme la contraction du périnée.
Puis, on fait remonter les pieds et la tête qui se tournent
respectivement du côté opposé : les pieds vers la droite et la tête vers
la gauche. On demeure un instant immobile. Puis, les pieds et la tête se
redressent et reviennent en position initiale.
Alors, on expire et on relâche le périnée.
On reprend aussitôt une profonde inspiration et on
recommence. On le fait trois fois en tout.
Puis, on pose le pied gauche au sol .
Les débutants voudrons peut être
aller trop vite. Or, il est indispensable de prendre son temps : ne pas
simplement faire, mais ressentir pleinement en faisant .
Il faudra donc bien veiller à
faire partir l’inspiration du ventre, pour sentir ensuite l’ouverture du
thorax, et enfin le soulèvement des épaules.
On veillera aussi a bien
décomposer la double torsion : si on veut tourner les pieds en même temps
que la tête, on risque de ne faire bien ni l’un ni l’autre. Quand on aura
maintes et maintes fois pratiqué cette posture et ressenti ses bienfaits, on
pourra alors tourner concomitamment les pieds et la tête.
·
Placer la
torsion dans l’autre sens
Le talon gauche est maintenant posé sur le
gros orteil droit. A cette distinction près, l’enchainement se déroule exactement de la même
façon que précédemment.
On inspire profondément et on retient le souffle en contractant le périnée. Alors, les pieds se tournent vers la droite pour commencer, puis la tête s’oriente vers la gauche. On marque une petite pause, puis les pieds et la tête se tournent respectivement dans l’autre direction. On marque une petite pause. Puis les pieds et la tête se redressent. Alors on expire et on relâche le périnée.
Ceci constitue la réalisation de la première posture.
On insistera sur un fait : les pieds commencent toujours à partir vers la droite.
On insistera sur un fait : les pieds commencent toujours à partir vers la droite.
22. DEUXIEME POSTURE
·
la position de départ
Allongé sur le dos, l’adepte plie les genoux, rapproche les deux pieds et plaque les genoux l’un contre l’autre. La flexion des genoux installe automatiquement la bascule du bassin : la région lombaire se trouve spontanément plaquée au sol. Le menton est abaissé pour bien dégager la nuque.
Les deux jambes sont placées l’une
contre l’autre mais vont se déplacer de façon autonome l’une par rapport à l’autre.
Ainsi, quand les deux jambes descendront d’un côté, les genoux ne resteront pas
nécessairement plaqués l’un contre l’autre. Chaque jambe "vit" en quelque sorte "sa
propre vie", c’est à dire descend plus ou moins.
Les bras sont placés en croix.
·
Le placement de la double torsion
L’adepte inspire lentement en trois parties (abdomen,
thorax, épaules), puis retient le souffle, les poumons pleins, sans forcer.
Le périnée se trouve alors vigoureusement contracté.
Les pieds et les genoux partent d’abord vers la droite, tandis
qu’on sent le bassin pivoter du même côté. Puis, le visage se tourne vers la
gauche.
On marque alors un léger temps d’arrêt, en veillant à garder
bien ferme la contraction du périnée.
Puis, on fait remonter les genoux et la tête qui se tournent
respectivement du côté opposé : les genoux vers la gauche et la tête vers
la droite. On demeure un instant immobile, le périnée bien ferme. Puis, les pieds et
la tête se redressent et reviennent en position initiale.
Alors, on expire et on relâche le périnée.
On reprend aussitôt une profonde inspiration et on
recommence. On le fait trois fois en tout.
Ceci constitue la réalisation de la deuxième posture.
23. TROISIEME POSTURE
·
la position de départ
Les deux pieds et les deux genoux sont largement écartés. Il
serait souhaitable d’installer un écart entre les deux pieds qui corresponde
à la longueur de notre tibia (le bas de la jambe).
Les bras sont toujours placés en croix.
·
Le placement de la double torsion
Les
indications sont exactement les mêmes que pour la deuxième posture.
Comme on le constate, il existe
une progression dans les trois postures que nous venons de présenter: la torsion dans la région
lombaire se trouve régulièrement accentuée. Cette torsion induit un massage
interne de plus en plus profond, à condition que la respiration reste
pleinement déployée.
Il serait possible d’ajouter encore d’autres variantes de
Makarasana. Néanmoins, celles que nous venons de décrire constituent une
excellente base pour une pratique hebdomadaire, ou quotidienne.
3.
Les étapes dans la pratique
Comme pour tout exercice de
Yoga, plusieurs niveaux de pratique peuvent être identifiés. Il est, par contre,
absolument impossible de prédire à l’avance combien de temps dureront ces
différentes phases, tout ceci étant personnel. Seule l’obtention de certains
résultats révélera où se trouve le pratiquant dans la progression.
La phase d’apprentissage vise à
réaliser la posture correctement d’un point de vue technique. Ce stade est
atteint par l’obtention de certains bienfaits physiologiques et énergétiques.
Par exemple, l’adepte ressent une grande sensation de détente, une amélioration du
transit intestinal et de la digestion.
Durant la phase de maturation, la posture est accomplie de
façon fluide, sans à-coups, et le l'adepte parvient à garder le périnée constamment contracté. Cette mobilisation musculaire est à l’origine des effets énergétiques
puissants de Makarasana. Elle sollicite le chakra de la base
(Muladhara chakra), situé au bas de la colonne vertébrale, comme l'atteste une représentation de la déesse Ganga, au temple de Mahabalipuram (voir ci-dessous).
Au cours de cette seconde phase, l’adepte fait l’expérience
de beaucoup d’entrain, de dynamisme et de joie dans sa vie quotidienne. Son temps de sommeil se trouve
raccourci de manière significative.
Enfin, dans la pratique de niveau
supérieur, l’adepte est constamment inspiré par le souhait de prendre soin de
soi et de veiller au bien de tous les êtres vivants. Les bienfaits obtenus de
la posture génèrent l’accomplissement d’actes nobles, dépourvus de tout égoïsme, ou désir de nuire, ou d’asservir autrui. L’utilisation incorrecte des capacités
engendrées par Makarasana occasionnerait d'ailleurs pour l’adepte de nombreux désagréments à plus ou moins
brève échéance.
Dans cette dernière phase, la posture est accomplie correctement d’un point de vue
technique, le périnée demeure constamment contracté et l‘adepte place sa
concentration au niveau du cœur (Anahata
Chakra). Il peut alors réciter intérieurement le mantra Ham qui correspond à ce centre d'énergie.
4.
Les bienfaits :
L’énumération des immenses bienfaits de
Makarasana suffit à faire d’elle une posture fondamentale du Hatha Yoga.
Nombre de ses bienfaits
nous sont révélés par la figure mythologique de Makara, monstre propice des Védas : développement
de la puissance créatrice, fécondité,
déploiement de l’amour altruiste.
Makarasana est donc particulièrement adapté pour lutter contre les états dépressifs, retrouver de la vitalité,
de l’entrain, du dynamisme. Makarasana
procure une grande joie de vivre, ce
qui nous permet de faire face avec plus de sérénité et de confiance aux aléas
de la vie.
La torsion du bassin induit un
massage interne profond de l’abdomen qui agit puissamment sur tous les
viscères : estomac, intestins, rate, pancréas, reins se trouvent
décongestionnés et revitalisés. Makarasana
a donc une action magistrale en cas de constipation
et de diabète. Permettant une
évacuation plus rapide des déchets de l’organisme, Makarasana joue aussi un rôle important dans la prévention du cancer du colon.
Le système nerveux se trouve
revitalisé grâce à la torsion qui est installée sur toute la longueur de la
colonne vertébrale. Cet « essorage » agit sur les terminaisons nerveuses
qui émanent de la colonne vertébrale, permettant une meilleure circulation des
influx nerveux. De plus, la torsion permet de réguler le fonctionnement des
glandes surrénales qui sécrètent les
hormones du stress (adrénaline, noradrénaline, cortisol). Makarasana permet donc de lutter efficacement contre les méfaits du stress qui nous épuise et de
préserver le bon fonctionnement du système nerveux.
Ce brassage interne très puissant
est à l’origine d’une profonde sensation de détente, de délassement qui se manifeste très rapidement. Il est
d’ailleurs fréquent que le bâillement se déclenche spontanément lors même de la
mise en œuvre de Makarasana si la
respiration se trouve suffisamment déployée.
Pratiquée avec précaution, Makarasana permet de soulager les maux de dos et d’éviter l’apparition des scolioses.
La sollicitation douce des
articulations des chevilles, genoux et hanches contribue au bon fonctionnement
des membres inférieurs. Makarasana va
ainsi permettre à la personne de conserver sa mobilité et de continuer à
marcher, même à un âge très avancé.
5. Contre-indications et obstacles
Les personnes présentant des problèmes cardiaques s’abstiendront
d’effectuer les rétentions de souffle : elles respireront donc
constamment, de façon ample et détendue.
Celles et ceux qui ressentent une
douleur dans les épaules lorsqu’elles placent les bras en croix, pourront
abaisser les deux bras de façon symétrique.
Les personnes dont le dos est fragile
et qui sont souvent sujettes aux lombalgies, cervicalgies et scolioses modérées pourront pratiquer de façon prudente
dès lors que toute crise douloureuse est passée. En effet, ce n’est pas tant
l’amplitude du mouvement qui confère à Makarasana sa réelle puissance que la conscience qu'a le pratiquant d’effectuer un mouvement
juste et maitrisé. Ainsi, le bassin pourra ne bouger que de quelques
millimètres : si ce déplacement est accompli en pleine conscience, alors de
grands bienfaits physiques et énergétiques seront obtenus.
Il est enfin fortement
déconseillé de chercher à forcer l’entrée de l’énergie dans le canal central (Sushumna).
On parviendrait seulement à endommager le corps subtil et à se créer des
problèmes.
CONCLUSION
Tout comme Jean de Lafontaine
affirmait :« je me sers d’animaux pour instruire les hommes *», les
Yogis ont parfois recours à des noms d’animaux pour nous parler en réalité des
humains.
Comme nous l’avons vu Makara est bien plus qu’un crocodile. Et
d’ailleurs cet animal est souvent utilisé comme symbole de l’amour altruiste
dans la mythologie orientale. Car de même que le crocodile ne relâche jamais sa
proie quand il la tient, l’amour authentique généré par le Yogi n’abandonne
jamais les êtres qui sont dans la souffrance.
En pratiquant Makarasana le Yogi réalise pleinement sa véritable nature : il développe sa santé,
sa puissance, et transmute l' énergie activée pour réaliser le bien de tous les êtres vivants.
* La Fontaine,
Fables, Livre premier, deuxième préface à Monseigneur le Dauphin
bibliographie
Louis Frederic, Dictionnaire de la civilisation indienne,
Robert Laffont, collection Bouquins (articles sur Makara et Varuna)
Arthur Koestler, Le cheval dans la locomotive, Calmann-Levy Avril 1980
Arthur Koestler, Le cheval dans la locomotive, Calmann-Levy Avril 1980
P. D. Mac Lean, Les trois cerveaux de l'homme, Robert Laffont Octobre 1990