Tripadatrikonasana

Le nom de cette posture est constitué à partir de plusieurs termes sanskrits élémentaires. Ainsi, tripada signifie « les trois jambes », tandis que trikona veut dire «triangle » et qu’asana désigne « la posture ». Tripadatrikonasana désigne donc « la posture du triangle avec trois jambes ».
Le caractère apparemment surprenant de ce nom trouve facilement son explication : dans la phase finale de la posture, les bras sont tendus vers le sol et donnent ainsi l’impression d’un troisième membre inférieur. Ces « trois jambes » forment un triangle dont le sommet se trouve placé au niveau du coccyx, siège de la Kundalini. 
phase finale pour personne souple


1 L’attitude intérieure préalable

Avant d’adopter la posture, l’esprit doit être libéré de toute conception mentale et reposer paisiblement. Ce résultat est atteint par l’accomplissement en début de séance de deux pratiques préalables : la purification des canaux (Nadi Shodana), ainsi qu’une courte méditation.

2 La prise de la posture

21.       La posture de départ
En position initiale, l’adepte se tient en Namaskarasana. Les deux pieds sont ainsi plaqués l’un contre l’autre, tandis que le bassin est basculé, et la concentration placée quatre travers de doigts sous le nombril. Les deux mains se trouvent en salut devant la poitrine, sans crispation, et la poitrine est largement ouverte.
 
Namaskarasana

22.       Le placement des pieds
Pour comprendre facilement ce qui doit être réalisé on peut faire un schéma et comparer le positionnement des pieds aux deux aiguilles d’une pendule.
Au départ, les deux pieds parallèles indiquent 12h00.
Au départ, les deux pieds indiquent Midi

 
Sans faire pivoter le bassin, on écarte légèrement le pied gauche sur le côté gauche, d’une vingtaine de degrés. On passe ainsi à midi moins dix.
ouverture du pied gauche sur le coté gauche. Les pieds indiquent midi moins dix

 
On avance alors le pied droit d’une demie enjambée en veillant à ne pas le faire dériver vers la gauche. 
Le pied droit avance d'une demie enjambée

 
Durant l’ouverture du pied sur le côté gauche et l’avancée du pied droit on veille à ce que le bassin ne pivote pas, ce qui fausserait complètement la posture.
23.       Les mains
Les mains, qui sont placées en salut devant la poitrine, s’élèvent alors au cours d’une inspiration. Les bras se trouvent alors tendus au-dessus de la tête.
A l'inspiration les bras se tendent au dessus de la tête

 
On pousse ensuite le bassin le plus loin possible vers l’arrière. Puis on laisse le tronc s’incliner vers l’avant. 
Tronc incliné vers l'avant, les mains sont rapprochées du sol

24.       l’étirement juste
Lorsque le tronc est descendu, on ne cherche pas «  à tout prix » à poser les mains au sol, ni même à « grappiller » quelques millimètres en voulant aller plus bas. De telles conceptions erronées seraient issues d’un mental agité. Or, ce « mental agité » a été mis entre parenthèses en début de séance et on veille à le tenir à l’écart durant tout le temps de la pratique car son intervention ne ferait que tout fausser.
Les mains se placent donc avec naturel, là où c’est le plus confortable pour elles : sur le genou, le tibia, la cheville ou sur le sol. Peu importe. Et ce placement correct des mains permet alors à l’étirement des muscles d’être pleinement juste.
On prend alors le temps de laisser la conscience circuler dans les différentes régions situées à l’arrière du corps, en remontant des talons d’Achille vers la nuque. On prend ainsi conscience de l’étirement juste au niveau des mollets… à l’arrière des cuisses… au niveau des fessiers… du bas du dos… du milieu du dos… du haut du dos. Dans toutes ces régions, l’étirement s’est installé de lui-même. La seule région où cela ne s’est pas accompli spontanément est la région cervicale. On doit donc alors étirer volontairement cette région en rapprochant tranquillement le front du tibia.
Le maître-mot qui doit nous guider à chaque instant est la justesse : justesse du placement du bassin et du pied avancé ; justesse du positionnement des mains et de l’étirement généralisé à l’arrière du corps.
De cette justesse découlent la stabilité physique et le confort, sans lesquels une posture de Yoga ne saurait exister.
Si l’on est très souple, il est alors possible de diriger les mains vers le pied gauche demeuré en arrière. 
Phase finale de la posture pour une personne souple

Maintenant que le placement correct du corps a été effectué, il importe de réguler le souffle.

3 La respiration juste

Réenclenchez alors la respiration profonde, en trois parties. La jambe droite étant légèrement avancée et le tronc incliné, cela induit une légère compression du bas de la cavité abdominale à droite, et donc, une stimulation du système digestif. Vous en prenez conscience.
Comme l’étirement musculaire dans le dos n’est pas trop intense cela permet à la respiration d’être pleinement épanouie. Un étirement excessif nous ficèlerait comme un rôti et entraverait le déploiement du souffle.
En retour, cette plénitude de la respiration favorise un travail musculaire optimal à l’arrière du corps. Ceci s’explique très facilement : l’abdomen se trouvant légèrement comprimé, l’abaissement du dôme du diaphragme lors de l’inspiration abdominale conduit mécaniquement à un étirement supplémentaire de la région lombaire. De façon similaire, l’inspiration thoracique pleinement déployée amène un ample écartement des côtes, ce qui provoque un étirement supplémentaire des muscles dorsaux.
De façon surprenante, c’est parce qu’on n’a pas cherché particulièrement à descendre bas qu’on est parvenu à réaliser un étirement musculaire optimal. On perçoit ainsi très bien l’interdépendance des aspects physiques, respiratoires et mentaux dans la pratique du Yoga.

4 l’attitude mentale juste

Dans la phase statique de la posture, l’esprit est laissé au repos, détendu, c’est-à-dire libre à l’égard des conceptions mentales qui s’élèvent spontanément dans l’esprit. On se déprend d’elles, ce qui leur permet alors de revenir se dissoudre dans l’esprit, d’où elles avaient émergé.
Ainsi, à chaque instant, l’adepte prend pleinement conscience du placement de son corps, de ses sensations et de tout ce qui s’élève dans son esprit. Tous ces phénomènes sont perçus distinctement, sans que l’on cherche à les retenir ou à les chasser. Ainsi le pratiquant enregistre les multiples sensations qui, à chaque instant, s’élèvent, se déploient, puis se dissolvent, tout comme un promeneur, sur le bord d’une rivière, contemple l’eau qui passe, en perpétuel changement, aussitôt remplacée par une eau renouvelée.
On peut placer l’attention au point situé à la pointe du coccyx. On fait alors comme si on voulait pointer cette zone vers le plafond. La stimulation du premier centre d’énergie (Muladharachakra) se trouve ainsi effectuée.

5 Demeurer et quitter la posture

Combien de temps demeurer dans la posture ? Pour une personne débutante, on dira 1 minute. Pour une personne plus avancée, cette question n’aura pas vraiment de sens. Constamment à l’écoute de ses sensations, elle sent la fatigue s’approcher lentement, se déployer progressivement. A un moment donné, son corps lui fait sentir « que cela suffit ». L’esprit enregistre cette information et interrompt tranquillement la posture.
Si l’on a plus particulièrement besoin de détente, on remontera les bras ballants, la tête pendante, en savourant le bien-être, tandis que les vertèbres s’empilent les unes sur les autres.
Mais, si on a besoin de quelque chose de plus tonique, le ventre bien ferme, on remontera alors  en tendant vigoureusement les deux bras au-dessus de la tête.
On reviendra alors dans la posture initiale, Namaskarasana.
Namaskarasana

Au bout de quelques respirations on adopte, l’autre demie-posture, en avançant cette fois-ci le pied gauche.

6 Effets positifs

Les effets bénéfiques de cette posture sont nombreux. Nous allons les citer en remontant du bas vers le haut du corps.
·         Fortification des pieds et des jambes.
Durant toutes les phases de la pratique (installation, phase staique, sortie), la posture requiert un excellent équilibre physique. Les muscles des pieds sont ainsi fortement mobilisés pour assurer cette stabilité.
Dans la phase statique, l’étirement des mollets et des ischio-jambiers, combiné à la contraction du tibial et des quadriceps, assurent un renforcement complet de la musculature des jambes.
·         prévention de l’apparition des varices
L’étirement intense des muscles des jambes comprime les veines et favorise le retour du sang vers le cœur. La posture prévient ainsi efficacement  En favorisant ainsi la circulation veineuse dans le bas du corps, la posture prévient ainsi efficacement l’apparition des varices.
·         Soulagement de la constipation.
L’avancée de la jambe, combinée à l’inclinaison du tronc, produit une compression d’un côté du bassin et du bas de la cavité abdominale correspondante. Il en résulte une stimulation du travail intestinal. Rappelons qu’on commence toujours par avancer le pied droit afin d’agir dans le sens du péristaltisme.
·         Soulagement des lumbagos.
L’étirement du bas du dos, particulièrement intense dans la phase finale de la posture, introduit un espace au niveau des disques intervertébraux de la 1er vertèbre sacrée et des 4e et 5e vertèbres lombaires. De plus, comme le tronc se trouve incliné vers l’avant, temporairement, ces vertèbres n’ont plus à supporter le poids du tronc, ce qui soulage considérablement le bas du dos.
·         Assouplissement du tronc
Un mode de vie sédentaire, de longues heures passées devant un clavier d’ordinateur, à effectuer des gestes étroits, limités aux seuls mouvements des doigts, conduisent insidieusement les personnes à rentrer les épaules, vouter le haut du dos et à se replier physiquement sur soi. 
Tripadatrikonasana contribue fortement à éliminer la rigidité du tronc et à se libérer des tensions physiques accumulées dans le haut du dos.
·         L’atténuation des rides
L’inclinaison du tronc facilite l’irrigation des vaisseaux sanguins du visage, ce qui atténue les rides et réduit les effets du vieillissement des cellules du visage.
·         L’oxygénation générale de l’organisme
La position inclinée du tronc vers l’avant, sous l’effet de la gravitation, facilite la circulation des fluides présents dans la cavité du bassin et de l’abdomen. Ils reviennent ainsi vers le haut du corps. Le sang veineux qui pouvait stagner dans l’abdomen se trouve redirigé vers le cœur. Cette amélioration de la circulation veineuse se combine à une dynamisation de la circulation lymphatique.
En améliorant ainsi, comme nous l’avons détaillé, la circulation sanguine dans les jambes, le bassin, l’abdomen, le tronc et la tête, Tripadatrikonasana  assure une oxygénation générale de l’organisme.

7 Des contre-indications en nombre limité

Ces contre-indications relèvent du bon sens.
·         Tendinite du talon d’Achille
Rappelons que la tendinite constitue une inflammation du tendon. Ce tendon étant lui-même une sorte de corde « tendue », constituée de fibres de collagène, qui relie un os et un muscle. 
·         Déchirure musculaire au niveau du mollet ou de l’arrière de la cuisse.
·         lumbago aigu.
La posture amène un étirement intense. Elle contribuera à éviter la réapparition du lumbago. Par contre, Lorsque le  lumbago est bien là et que la douleur est présente, il convient de s’abstenir de pratiquer Tripadatrikonasana. En effet, le disque intervertébral qui a été endommagé doit d’abord être réparé avant d ‘envisager de prendre cette posture.
Par contre, une fois le lumbago disparu, Tripadatrikonasana sera intégré dans une pratique hebdomadaire pour prévenir la récidive et éviter l’installation d’un mal chronique.
Tripadatrikonasana viendra ainsi prendre place avec  d’autres postures telles que Pavanamuktasana et Shalabasana (voir nos deux articles consacrés à ces postures) dans une séance spécifique anti mal de dos.
Une personne connaissant la faiblesse de sa région lombaire pourra avec profit recourir à Tripadatrikonasana, mais elle n’inclinera le tronc que modérément, plaçant les mains sur le genou qui est avancé, en s’empêchant d’aller plus bas.

8 Les erreurs à ne pas commettre

Les erreurs fréquemment commises proviennent tantôt de l’inattention, tantôt de l’incompréhension de la pratique.
·         Faire pivoter le bassin
Certaines personnes, en ouvrant le pied gauche sur le côté gauche, font pivoter le bassin dans cette direction. Cette erreur, même légère, vient fausser la posture. En effet, quand le tronc s’inclinera, le front ne sera pas alors placé devant le genou avancé, mais aura dévié vers la gauche. Les deux fessiers ne seront plus à la même hauteur.
Quand on prend conscience de cette erreur, on reprend simplement la posture au début.
·         le placement incorrect du pied
C’est l’autre erreur le plus fréquemment commise. Par inadvertance, au lieu d’avancer le pied en face de soi, on le fait dériver un peu vers la gauche. Cela conduit aux mêmes conséquences que la première erreur et le remède est identique.
Les deux pieds sont placés sur la même ligne : l'équilibre est compromis

 
·         une mauvaise compréhension de la pratique
Cette troisième erreur consiste à croire qu’il faut descendre le plus bas possible, peut-être même toucher le sol - devenu le Saint Graal - alors qu’on n’y parvient manifestement pas ! Alors, on empoigne la jambe, on tire, on agite son esprit, au lieu de le laisser reposer. Et on corrompt complètement la pratique par les errements d’un esprit non régulé.
L’esprit doit être neutre, détendu, indifférent au placement des mains. Si les mains touchent le sol, on l’accepte, on n’en tire aucun orgueil. Si elles ne peuvent se poser que sur le genou avancé, on ne se sent pas dévalorisé pour autant. L’essentiel n’est pas là.
Le pratiquant doit avoir très clairement à l’esprit que la posture ne constitue qu’un support de concentration. Tant que ceci ne sera pas actualisé tout ce qui sera accompli physiquement sera frelaté. 

CONCLUSION

Tripadatrikonasana dispense de nombreux bienfaits qui en font une grande posture. Dans une séance, elle trouve tout naturellement sa place après les Salutations au soleil. Elle précède généralement une autre posture qui amène un engagement physique plus intense Virabhadrasana, le Guerrier) avant de passer au sol, allongé sur le dos.
Dans Tripadatrikonasana, à chaque instant, l’adepte prend pleinement conscience du placement de son corps, de ses sensations et de tout ce qui s’élève dans son esprit. Tous ces phénomènes sont perçus distinctement, sans que l’on cherche à les retenir. Ainsi le pratiquant enregistre ses sensations qui s’élèvent, se déploient, puis se dissolvent, tout comme un promeneur, sur le bord d’une rivière, contemple l’eau qui passe, en perpétuel changement, aussitôt remplacée par une eau renouvelée.
Christian Ledain
 

Karma


liberté et responsabilité


 
Quand on pratique le Yoga c’est souvent pour se libérer de difficultés physiques ou mentales et obtenir une meilleure santé.
Etablir ce rapprochement entre nos actions et leurs conséquences, c’est comprendre la loi du karma. Et il ne saurait y avoir de pratique authentique du Yoga sans la pleine intégration de cette loi car comment pourrait-on obtenir les résultats désirés sans en avoir générer préalablement les causes ?
La loi du karma se manifeste parfois d’une façon grossière, immédiatement perceptible. Mais, quelquefois elle se déploie d’une façon subtile qui échappe à nos perceptions ordinaires. Ainsi, lorsqu’à la suite d’un meurtre, l’auteur est conduit en prison, nous établissons très facilement la relation de cause à effet entre ces deux événements. Pourtant, on sait bien que tous les meurtriers ne finissent pas emprisonnés et que certains terminent leurs jours, à un âge très avancé, dans une riche demeure, entouré de nombreux serviteurs. « Où est la loi du karma là-dedans et où est la justice ? » peut-on alors se demander. Révolté, on pourrait même renoncer à toute éthique et choisir de se comporter en malfrat, ce qui serait une erreur grossière, source de graves difficultés.
Il est donc nécessaire de clarifier la notion de karma (I) et de préciser les principes éthiques qui en découlent (II).

I Une notion simple au contenu très riche

Les lignes générales de la loi du karma sont faciles à comprendre.

11 Une notion aisément compréhensible dans son principe

Tout acte engendre des conséquences qui sont de même nature que l’acte initial. Ainsi, lorsque je regarde par ma fenêtre et que je vois un chêne, je sais avec certitude qu’un gland a été à son origine, et que cela ne peut en aucun cas  être un noyau de pêche, ou un pépin de pomme.
Le gland est donc la cause essentielle de l’apparition du chêne.
Mais, le gland n’a pas suffi à lui seul à donner naissance à ce chêne. Il a aussi fallu la présence d’une terre suffisamment fertile, d’un ensoleillement adéquat et d’un certain taux d’humidité. Toutes ces circonstances sont les conditions qui ont permis à la cause d’être pleinement efficiente.
Ce mécanisme n’est pas propre à l’arboriculture : il est à l’œuvre dans tous les événements de notre vie et vaut, de façon générale, pour tous les phénomènes.
Le principe général énoncé, voyons maintenant plus en détail les propriétés de la loi du karma.

12 Les nombreuses propriétés de la loi du karma éclairent des situations très diverses

La notion de karma va permettre d’expliquer de nombreux aspects de notre vie quotidienne qui apparaissaient obscurs. Ainsi quatre principes régissent la loi du karma :
1.     Le karma est certain
Lorsqu’une action a été accomplie, qu’elle soit positive ou négative, il n’est pas possible d’échapper à la conséquence de cette action. Ce résultat surviendra nécessairement lorsque le karma sera arrivé à maturité, tout comme le fruit devenu mûr se détache de l’arbre et tombe.
Ainsi, un meurtrier aura beau se cacher, déjouer les investigations de la police, il ne pourra échapper à son karma qui s’actualisera inévitablement. Inversement, telle personne qui aura accompli un acte bénéfique, comme donner de la nourriture à un être qui a faim, recueillera nécessairement les bienfaits de son acte généreux, sous la forme de conditions matérielles favorables.
Maintenant, le moment où le karma s’actualise ne nous est pas connu d’avance et le délai qui s’écoule entre la commission de l’acte et sa rétribution peut être court, long, voire très long (plusieurs vies). Si nos capacités étaient extrêmement développées nous pourrions avoir une perception directe du moment où telle action arrivera à maturité et donnera naissance à tel événement. Mais, si quelques êtres qui ont déployé pleinement leur potentiel sont en mesure de le faire, cela échappe pour l’instant au champ de nos capacités.
Comment donc comprendre l’événement que nous évoquions précédemment : le mafioso qui après avoir tué plusieurs personnes meurt dans sa riche villa sans avoir été arrêté par la police? Le fait qu’il jouisse paisiblement d’une très riche maison est la conséquence d’actes généreux qu’il avait accomplis antérieurement, en cette vie-ci, ou dans une vie précédente. Par contre, le fait qu’il ne soit pas puni pour l’instant des meurtres qu’il a commis vient simplement du fait que ces karmas négatifs ne sont pas encore venus à maturité. Mais ils le seront inéluctablement, un jour ou l’autre : sa vie sera alors écourtée de façon brutale en étant tué à son tour.
2.     Le karma s’accroit
Lorsqu’un acte est accompli, cet acte laisse une trace, une empreinte, dans notre esprit. Un délai de latence, plus ou moins long, s’écoule entre le moment où l’acte initial se trouve accompli et le moment où, le karma étant venu à maturité, la conséquence de l’acte se manifeste. Pendant ce temps de latence le potentiel de l’acte s’accroit dans notre esprit. Ainsi, une action négative, d’apparence minime, telle qu’un larcin, pourra provoquer une conséquence négative très importante beaucoup plus tard : perdre une grosse somme d’argent. Inversement, une action positive modeste, telle que donner un peu de nourriture à un renonçant, pourra générer un effet bénéfique considérable, tel qu’une grande richesse matérielle dans une existence future. Ainsi, de petites causes peuvent être à l’origine de grands effets et ne doivent donc pas être sous-estimées.
3.     L’impossibilité de faire l’expérience d’un phénomène dont on n’a pas généré la cause
Rien ne nous arrive « par hasard », ni par chance ou malchance. Il n’y a pas de destin, de force extérieure qui agisse sur nous, malgré nous, et crée nos conditions d’existence : tout, absolument tout, ce qui survient dans notre vie est la conséquence d’actes que nous avons accomplis précédemment.
Si quelqu’un raye ma voiture, c’est qu’antérieurement j’ai accompli une action de même nature. Si j’allais donc frapper cette personne, ou l’insulter, j’accomplirai ainsi un acte négatif, générateur à son tour d’un nouvel événement désagréable que j’expérimenterai plus tard. Ainsi, mes difficultés, ma souffrance n’auraient pas de fin.
Ne dois-je donc rien faire face au malfaisant qui raye ma voiture ? La loi du karma nous enjoint-elle la passivité face aux mauvaises actions ? Aucunement. On doit agir et empêcher cette personne de nuire parce qu’elle se cause du tort à elle-même et qu’elle en cause à autrui. On doit agir non par haine, mais par altruisme, afin de protéger cette personne des conséquences douloureuses de l’acte négatif qu’elle commet, du fait de son ignorance.
L’ignorance, et particulièrement la méconnaissance de la loi du karma, est à l’origine de tous nos maux car si nous connaissions vraiment les conséquences à long terme de nos actes nous renoncerions instantanément, terrifiés, à nos actes négatifs pour nous appliquer avec ardeur aux actions méritoires.
4.     Le karma ne s’épuise pas
Une action que l’on a accomplie recèle un certain potentiel karmique, positif, négatif, ou neutre. Le potentiel de cette action ne va pas disparaitre spontanément par l’écoulement d’un certain temps. Il existe en droit la notion de prescription qui conduit à ne plus pouvoir poursuivre en justice un acte au-delà d’un certain délai. Mais il n’existe pas de telle prescription à l’égard du karma : tel acte arrivé à maturité engendre inévitablement une conséquence qui est de même nature.
Il peut donc nous arriver d’oublier telle action commise il y a longtemps, cet oubli n’empêche nullement l’action de cheminer silencieusement en nous. Et à un moment donné, nous expérimentons le fruit de l’acte sous forme de bonheur ou de souffrance. Ainsi, on aura beau oublier l’action, elle ne nous oubliera pas.
La loi du karma a pour conséquence de nous inciter à modifier notre comportement dans la vie de tous les jours.

II Une éthique pour la vie quotidienne

La reconnaissance de la loi du karma fonde une éthique par laquelle on s’abstient de commettre des actes négatifs et on s’applique à la réalisation d’actes positifs.

21.     S’abstenir de commettre les actes néfastes

Les actes négatifs sont ceux qui sont causes de souffrance. Leur caractère négatif procède de leur nature intrinsèque même et ne découle pas d’un statut qui leur serait conféré par une autorité.
Le champ des actes à proscrire est plus ou moins vaste selon les engagements que l’on prend. Ainsi, peut-on d’abord renoncer à tuer des êtres vivants, humains ou animaux, petits, comme les fourmis, ou gros, comme les éléphants, et dont la vie est tout aussi respectable ; s’abstenir de prendre les biens qui n’ont pas été donnés, ne pas mentir, ni avoir de relation sexuelle avec une personne engagée par ailleurs ; de même s’abstenir de consommer des substances qui altèrent le fonctionnement de l’esprit, telles que l’alcool ou la drogue. Tout cela est excellent.
D’autres vœux, plus larges, engagent aussi à s’abstenir de proférer des paroles injurieuses ou blessantes pour autrui, à ne pas médire de son prochain, à renoncer à l’attachement, à dissiper l’ignorance en reconnaissant la nature des phénomènes au-delà de leur apparence, et à renoncer à nuire à autrui.
L’idée générale qui sous-tend ces principes éthiques est simple : renoncer à travers les actions du corps, de la parole et de l’esprit à causer du tort à autrui et à soi-même.

22.      Développer les actes positifs

On ne se contentera pas de ne pas commettre ces actes négatifs, on s’évertuera aussi à développer leur contraire, les actes positifs. Par exemple, non contents de ne pas tuer, on protégera la vie, on soulagera la souffrance des autres êtres, on prendra soin de la nature, on développera sa capacité à soigner. En prenant soin des autres on découvrira que c’est la meilleure façon de prendre soin de soi. Si cela nous apparait pesant au départ c’est simplement qu’on est très centré sur soi, soucieux de sa propre personne ; mais on découvrira vite qu’il y a une grande satisfaction à prendre soin d’autrui et que cela nous protège plus puissamment qu’une armure.

23.     Purifier les actes commis antérieurement

Lorsqu’un acte négatif a été commis et que son résultat n’est pas arrivé à maturité, l’acte demeure à l’état latent. Il est donc possible de purifier notre esprit des traces que l’acte négatif y a laissées. Le principe en est simple : il convient de reconnaitre la souffrance que l’on a causée et de décider de ne plus reproduire cet acte négatif. Bien sûr, il existe des rituels qui rendent cette purification plus rapide et plus complète, mais les forces du regret et de l’engagement demeurent les composantes essentielles. Ainsi, le mafioso aurait pu se repentir du fond du cœur des crimes qu’il avait commis et décider de ne plus tuer aucun être, mais de protéger désormais toute vie. Il aurait ainsi pu atténuer considérablement la force du karma négatif accumulé, voire même le nettoyer complètement. Car il n’est pas d’acte, si négatif soit-il, qui ne puisse être purifié : le savoir est un formidable message d’espoir.
CONCLUSION
Pratiquer le Yoga c’est fondamentalement vivre en accord avec la loi du karma : générer les causes d’une vie heureuse et se libérer de la souffrance.
Cela ne nécessite pas de posture physique particulière : c’est une posture intérieure, une éthique, que l’on adopte à chaque instant de notre vie. Et cet axe central, semblable au mont Mérou, nous confère une grande assurance, une grande stabilité. La peur, l’anxiété diffuse① s’effacent ; le doute qui embrumait notre esprit se lève. On sait que ce que l’on accomplit est juste. Dès lors, la vie ordinaire, le quotidien, deviennent riches : les qualités présentes dans notre esprit à l’état potentiel② peuvent s’ouvrir tel un lotus. Et le lotus est bien le symbole de notre condition humaine : ses racines s’enfoncent dans la vase, mais ses pétales, d’une blancheur immaculée, sont tournés vers le ciel.
① La peur et l’anxiété sont la conséquence d’un manque d’éthique
② Grâce à l’éthique, la concentration va se développer. Il sera ensuite possible de comprendre la nature des phénomènes et de réaliser ainsi la sagesse.